mercredi 23 novembre 2016

Violence, sacrifice & réconciliation, à la lumière de l'oeuvre de René Girard

Cher amis,

J'ai plaisir à vous annoncer que le samedi 3 décembre  à 16h à la médiathèque Aimé Césaire de Ste Suzanne aura lieu une conférence intitulée :

 "Violence, sacrifice & réconciliation, à la lumière de l'oeuvre de René Girard".
La présentation durera une heure environ et nous disposerons d'autant pour les questions-réponses.
A partir de l’œuvre de René Girard, je tenterai d'expliquer pourquoi... :
·         la violence est contagieuse
·         elle se trouve au fondement des sociétés humaines
·         les religions ont, de tous temps, servi à la réguler, à la contenir
·         la paix ne peut plus venir de la réconciliation violente, du sacrifice de « boucs émissaires »
·         la (post)modernité a pour horizon l’Apocalypse
·         nous avons à œuvrer à une réconciliation non violente
·         une éducation à la paix commence par une éducation à la responsabilité
En espérant votre présence,
je vous remercie de bien vouloir faire circuler ce message.
Bien à vous,
Luc-Laurent

jeudi 11 août 2016

Être responsable, voilà ce qui apporte la paix !


Nombreux sont parmi nous ceux qui, en ces temps barbares, aiment à parler de paix. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, il est aisé de retomber dans l’ornière du conflit. Leni Riefenstahl, la cinéaste d’Hitler, se défendait de l’avoir suivi en clamant, de bonne foi, qu’il parlait surtout de paix. Certains, et parfois les mêmes, nous parlent de choc des civilisations voire de guerre de religions et les derniers événements sembleraient apporter de l’eau à leur moulin. Le pape a beau dire le contraire, rien n’y fait, chacun voit midi à sa porte. Il en est même qui invoquent Jésus tout en portant accusation, sans donc avoir compris que l’accusateur est le diable, celui qui construit la division, sème la zizanie et attise le conflit.
S’il est bon de se tourner vers Jésus, ce n’est pas simplement pour faire de beaux discours, des appels vibrants à la paix, la joie et l’amour qui donnent bonne conscience tout en jetant la pierre à son voisin. En se chargeant de tous les péchés des hommes, le Christ nous a offert un modèle pour la paix qui consiste, tout au contraire, à prendre SA pierre et à la placer dans SON jardin plutôt que de la lancer dans celui du voisin. Même si cela nous crucifie, reconnaître la poutre que nous avons dans l’œil fait que la paille que nous voyons dans celui du prochain cesse de nous faire offense.
Lorsque chacun prend sa "patate chaude" au lieu de tenter de la refiler à son voisin comme un mistigri ou un roi de pique, il n’y a plus d’accusations injustes ou mensongères pour nourrir le conflit. Bien que souvent amère, la vérité peut être reconnue, le pardon devient possible et la paix s’installe alors comme par miracle.
Les récents attentats incitent au recueillement, à la tristesse mais ils appellent aussi une explication. Pourquoi ces hommes, ces femmes et ces enfants innocents sont-ils morts ? Il est ici diablement tentant de succomber au réflexe consistant à mettre en cause l’Islam puisque les auteurs des massacres s’en revendiquent. Toutefois, si nous avons le moindre souvenir du message évangélique, nous aurons l’audace de réfléchir et de nous demander s’il ne s’agirait pas de la paille et si la France n’a pas quelques poutres dans l’œil.
Se poser la question, c’est déjà y répondre. Nous ne le savons que trop : depuis des années nos gouvernants jouent avec le feu. Il est loin le temps où la sagesse d’un Chirac et d’un Villepin valait à ce dernier une ovation debout à l’ONU suite au refus français d’entrer dans une coalition criminelle contre l’Irak. Depuis qu’elle a réintégré l’OTAN, la France a été mise au service de l’empire étasunien ; elle a fait son sale boulot en Libye, au Mali, en Syrie. En quoi serait-il étonnant que la France soit à présent touchée par le terrorisme islamique comme l’Angleterre et l’Espagne au temps de leur présence en Irak ?
S’identifier aux victimes ne fait pas de nous, simples citoyens, des innocents. Ne serait-il pas temps d’être responsables et de reconnaître que notre pays fait des victimes en terre d’Islam ? Ne serait-il pas temps de demander à ce que le gouvernement soit au service de la nation et non pas d’intérêts étrangers ? Car enfin, pour quelle raison la France intervient-elle au Moyen-Orient ? Pour faire une guerre (préventive) au terrorisme ? Outre que cela n’a aucun sens du point de vue du droit international et ne peut être gobé que par des ignorants, on en voit le résultat !
Non, le fait que l’Europe, chrétienne, se trouve actuellement en crise avec la Russie, orthodoxe, et de plus en plus avec l’Islam alors que les trois ont intégré des valeurs christiques dans leurs cultures respectives n’est dans l’intérêt ni de l’Islam, ni de la Russie, ni de l’Europe. On voudrait que les deux monothéismes à vocation universelle s’entre-détruisent, on ne s’y prendrait pas autrement.
Si nous voulons la paix alors il est temps d’être responsable, il est temps d’exiger des candidats à la présidentielle qu’ils prennent position quant à une sortie définitive de l’OTAN et surtout un arrêt immédiat de la participation à des guerres criminelles et insensées menées pour un bénéfice qui n’est certainement pas le nôtre. Vendre des Rafales pour ensuite en prendre ne peut donner un solde positif, surtout si, entre-temps, on y a perdu son âme.
Bref, dénoncer la barbarie, oui, mais d’abord la sienne, plutôt que de n’avoir d’yeux que pour celle des autres. En représailles à l’attentat de Nice, Hollande a intensifié l’action militaire en Syrie : le 19 juillet, le village de Toukhan al-Kubra a été bombardé. On compte 120 victimes civiles innocentes, principalement des femmes et des enfants.


Luc-Laurent Salvador 


Article publié dans le journal de l'île le 8 août 2016, p. 2

jeudi 19 mai 2016

Violences scolaires : une révolution éducative est nécessaire !

Depuis une vingtaine d’années, en dépit de tous les rapports, plans, circulaires, réformes et « refondations », le niveau de la violence au sein des établissements scolaires croît d’une manière d’autant plus alarmante que, comme y a insisté l’anthropologue René Girard, rien n’est plus contagieux que la violence. Il semblerait que nous allions de plus en plus vite vers les extrêmes, vers l’insupportable, que la situation de Mayotte semble préfigurer.
N’y aurait-il pas, dès lors, urgence à (1) reconnaître que ce que tout ce qui a été mis en œuvre jusqu’à présent s’est révélé insuffisant ou a échoué et (2) se demander si les solutions qu’on nous propose actuellement ne seraient pas tout aussi vaines ?
Quelles qu’en soient ses modalités, le contrôle social et policier pour le bien des familles et de leurs enfants relève d’une logique sécuritaire qui fleure bon le totalitarisme et qui pourrait affaiblir encore notre fragile démocratie en infantilisant une part grandissante de la population.
C’est pourquoi, il me semble qu’avant de rechercher l’assistance des services sociaux et de la police, l’institution scolaire serait bien inspirée de se remettre en cause.
 La question se pose en effet de savoir si le manque de respect, les incivilités et la violence sont seulement le fait des élèves.  Ceux qui sont parents ne savent-ils pas tous, plus ou moins confusément, que le ton cassant, impérieux des enseignants du passé, leurs cris, leurs colères, leurs menaces, leurs brimades, leurs humiliations, leurs moqueries, leurs insultes et autres violences psychologiques (sans parler des violences physiques ou tout simplement des notes punitives) restent grosso modo d’actualité ?
Que des enseignants se sentent obligés de recourir à de telles méthodes quand ils doivent gérer tant de jeunes indifférents aux limites comme à la parole de l’adulte, on le comprend d’autant mieux qu’ils ont eu, pour la plupart, cela pour modèle au cours de leur propre scolarité et, par la suite, aucune formation sérieuse sous le rapport de l’autorité, alors même qu’une de leurs missions premières est de l’exercer et de la maintenir.
Le problème est que cette véritable guerre des générations a pour origine un quiproquo de proportions tellement gigantesques qu’il échappe au regard. En effet, il conviendrait de voir qu’en dépit de la Révolution, on n’a eu de  cesse de maintenir la jeunesse dans l’Ancien Régime au sens où l’enfant (du latin infans qui veut dire « n’a pas la parole ») est censé être assujetti à l’adulte et non pas « sujet. » Or, au cours du siècle dernier, grâce notamment à la pub, une révolution silencieuse a eu lieu : on a laissé les jeunes prendre la parole et... le pouvoir !  De sorte que les parents amènent à l’école des « sujets » en « toute-puissance » quasi sourds à la volonté adulte. A ces révolutionnaires qui s’ignorent mais réclament à juste titre le respect de leur personne, allons-nous envoyer la police ou saisirons-nous enfin l’occasion de leur proposer une éducation véritablement démocratique, c’est-à-dire, respectueuse, structurante et formatrice ? Bref, allons-nous enfin accomplir la Révolution dans sa dimension éducative ?
Il n'y aurait rien là de compliqué a priori puisque tout le monde connaît les principes démocratiques mais imaginez quel bouleversement ce serait : (a) des règles de classe, de cour, de cantine et d’établissement explicites, justes, proportionnées et consensuelles car adoptées après des débats et des décisions impliquant tous les élèves, (b) des sanctions positives et négatives pareillement conçues et qui, bien sûr, excluraient définitivement l’affreux répertoire (listé plus haut) du tyran éclairé que trop d’enseignants s’autorisent encore à divers degrés et, enfin, (c) des activités choisies par les élèves et non pas imposées en fonction des programmes par celui qu’on appelle encore le « maître. »
Cela fait plus d’un siècle que les Pédagogies Nouvelles ont ouvert la voie d’une éducation respectueuse du jeune mais elles ont été reléguées à la marge. Une éducation démocratique permettrait à peu de frais d’en généraliser l’esprit et de contribuer ainsi à la réussite de tous les élèves ainsi qu’à une véritable formation citoyenne dont la nation a grand besoin.
Qu’attend-on pour y venir : que les enseignants désertent une profession impossible ? Que les cours d’écoles, qui ont toujours été plus ou moins des zones de non droit, deviennent de vraies cours des miracles ? Que les élèves en ressortent à des logiques tribales pour se sentir protégés — alors qu'il s'agit là du premier devoir de l’autorité ?
Quoi qu’il en soit, les jeunes ayant fait leur révolution, nous n’avons plus le choix : l’éducation publique sera démocratique ou ne sera pas.

Luc-Laurent Salvador pour l’association EDUCAPSY



Heureux celui qui a pu connaître les causes des choses

Voici ma réponse à Alain Fourmaintraux (voir post précédent) publiée dans le Quotidien le 13 mai 2016, p.?
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Alain Fourmaintraux a raison, on aurait tort de ne pas chercher les causes (voir son courrier au Quotidien du 6/5).
     La citation de Virgile qui sert ici de titre en témoigne, les humains cherchent les causes depuis la nuit des temps. Le religieux a été leur premier système explicatif. Les « mauvais esprits » étaient alors la cause de leurs malheurs et les sorciers étaient chargés de traiter avec eux. A présent que la science a pris le relais sinon la place du religieux, le désir de connaître, donc de maîtriser, reste inchangé.
    Les médecins agitent devant nous des causes biologiques et le cerveau est porté au pinacle comme s’il était l’Alpha et l’Omega, c’est-à-dire, la cause première de l’activité mentale. Au point que certains croient qu’« on ne peut plus prétendre connaître l’esprit humain sans connaître le cerveau. » Nous sommes tellement acquis à cette vieille idéologie réductionniste du XIXe que nous manquons de voir l’évidence qui est que ce n’est pas le cerveau qui pense, mais le corps dans sa totalité, dans son intégrité. Les esprits que nous sommes sont incarnés ou incorporés et non pas « incérébrés ». A preuve : prenez un cerveau humain, mettez-le sous perfusion dans un bocal, vous êtes sûr qu’il n’y a plus personne dedans, au mieux une activité neurale anarchique.
     A quoi nous sert-il de savoir que telle fonction mentale est localisée ici ou là dans le cerveau alors que la principale caractéristique de ce dernier est d’être plastique, c’est-à-dire, malléable, soumis, effet et pas seulement cause de l’activité mentale ? Lorsque qu’une zone cérébrale est détruite (par un traumatisme, un AVC, etc.), la fonction mentale correspondante pourra s’installer ailleurs à la faveur d’un entraînement plus ou moins intensif. Le cerveau est donc très exactement « ce qu’on en fait » au sens où c’est l’exercice de nos facultés mentales qui progressivement le transforme.
      C’est l’activité — cette totalité qui implique le corps et l’esprit — qui façonne le cerveau. Nous n’avons pas actuellement d’autre moyen efficace, sain et sûr d’intervenir sur le cerveau. En dépit de ce dont voudraient nous convaincre des médecins soumis au lobbying de Big Pharma, on ne règle rien avec des drogues et des médicaments psychotropes. Le véritable travail est accompli par le sujet lui-même, par son activité d’élève ou de patient, sous la houlette d’un éducateur qui l’aide à réussir des exercices judicieusement choisis pour être à sa portée. Cet éducateur (enseignant, orthophoniste, psychomotricien, kiné etc.) est un « entraîneur » qui a seulement besoin de connaître les fonctions mentales et physiques mises en jeu dans l’activité proposée.
     Bref, que le cerveau reste dans sa boîte et se contente d’être ce que nos habitudes font de lui ! Quant à nous, humains, êtres doués de psychologie, attachons-nous à construire de bonnes habitudes et à réparer par des exercices adaptés ce qui fonctionne mal puisque, comme le dit si bien Michel Serres, « rien ne résiste à l’entraînement. »

Luc-Laurent Salvador pour l’association EDUCAPSY

mercredi 18 mai 2016

On aurait tort de ne pas chercher les causes

       Voici la réponse d'Alain Fourmaintraux à mon précédent billet (publiée le 6 mai dans le courrier des lecteurs du journal Le Quotidien)
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      Monsieur Salvador, pourquoi craindre une approche médicale des troubles psychologiques (votre courrier des lecteurs dans Le Quotidien du 4 mai) ? Le fonctionnement de la «Psychée» est un fonctionnement cérébral, donc biologique puisque le cerveau est un organe biologique. On ne peut faire de la psychologie hors cerveau comme on fait de l'administration hors sol. Il faut garder les pieds sur terre. Et, comme le cerveau peut être atteint de «dysfonctionnements », il n'est pas étrange que l'on appelle la médecine à son chevet, quand celle-ci a des connaissances sur le sujet, cela va de soi.
       Or les neurosciences progressent. En cela elles suivent l'exhortation socratique du « connais-toi toi-même » et l'on ne peut plus prétendre connaître l'esprit humain sans connaître le cerveau humain. Donc, il n'y a pas de raison pragmatique à refuser le secours de la médecine dans les difficultés d'apprentissage scolaire. Tous les échecs scolaires n'ont pas d'explications biologiques connues, c'est certain, mais on aurait tort de ne pas les chercher, systématiquement.
      Le Défenseur des Droits, dans son dernier rapport, dénonce à juste titre le refus de chercher et de partager les diagnostics médicaux des handicaps de certains enfants, refus qui les rend «invisibles» et empêche leur inclusion scolaire. Il est souvent trop facile de considérer les enfants inadaptés à l'enseignement comme seulement des cas sociaux qui relèverait de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Le Défenseur des Droits dénonce aussi cette trop fréquente fausse route, grande cause d'échec d'inclusion. Cette démarche pragmatique a par ailleurs l'extrême avantage de définir une cause objective, quand elle la trouve, et de soulager les enfants et leurs familles du poids de la culpabilité.
       Je vous propose un cas d'école: l'alcoolisation foetale. (On pourrait évoquer d'autres agents tératogènes que l'alcool: certains virus, le valproate, les pesticides et d'autres connus ou inconnus, mals que l'on peut prévoir, tant le développement cérébral du foetus est fragile.) Les enfants atteints de troubles causés par l'alcoolisation foetale (TCAF) peuvent présenter des signes très variables: déficit de la mémoire de travail, déficit  des fonctions exécutives, déficit  de l'empathie, intolérance au  bruit, hyperactivité-inattention,  autisme et, puisque vous évoquez  les « dys », dyscalculie, dyslexie,  dysgraphie, dysphasie... Chaque « domaine fonctionnel» doit s être considéré, mesuré et pris en charge, précocement, car de ces atteintes primaires découleront des troubles secondaires: échec scolaire, exclusion sociale, délinquance, clochardisation... Or, très souvent, la pathologie des TCAF, car c'en est une, a été invisible de la maternelle au collège. L'incidence du syndrome d'alcoolisation foetale est au minimum de 1% des naissances, mais sans doute beaucoup plus puisqu'un tiers voire la moitié des femmes enceintes boivent de l'alcool pendant leur grossesse. LesTCAF sont donc une part non négligeable des échecs scolaires. Il faut donc les chercher, comme il faut chercher toutes les causes médicales, innées et acquises ; c'est la seule façon rationnelle de connaître la partie médicale des causes des échecs scolaires.
Alain Fourmaintraux 



Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

Le 4 mai dernier, le journal Le Quotidien a publié mon "courrier des lecteurs" sur la dyslexie et autres dys qui faisait écho à la conférence de Léonard Vannetzel organisée par la MAIF.
Malheureusement le texte, un peu long, a été coupé de sorte qu'il m'a semblé inintelligible.
Le voici dans sa version intégrale.

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Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

La MAIF a récemment invité à l’Université de la Réunion Léonard Vannetzel, psychologue et rédacteur en chef d’ANAE, une revue de neuropsychologie de l’apprentissage. Il a traité en expert de « La galaxie des dys » face à un public avide constitué principalement d’enseignants. Le sujet, complexe s’il en est, reste très sensible pour de multiples raisons mais je vais tenter ici d’en évoquer une, particulièrement importante et que le titre rend assez explicite, je crois.
Sans doute faut-il préciser que, dès mon entrée dans la profession de psychologue de l’Education Nationale, j’ai été mis en garde au sujet de l’emprise grandissante du médical sur le domaine scolaire, notamment sous le rapport des apprentissages.
Cet avertissement n’a jamais cessé de se vérifier. « L’éducation spéciale » se décide dorénavant dans les Maisons de la Personne Handicapée et les troubles médicaux envahissent proprement l’espace scolaire au point que la moindre difficulté d’apprentissage semble devoir relever de quelque « dys » et autres troubles quand il ne s’agit pas de précocité. Autant dire que les psychologues de l’Education Nationale ne savent plus où donner de la tête étant donné que leur bilan, en particulier, psychométrique, est systématiquement exigé pour la constitution des dossiers. La chose relève d’une logique qu’il ne s’agit pas de contester dans son ensemble mais on peut néanmoins se demander si elle n’amènerait pas quelques effets pervers notamment en ce qui concerne la « galaxie des dys ».
Les diagnostics en « dys » ne concernent, en effet, que les élèves dont on a pu s’assurer qu’ils ne présentaient pas de déficience intellectuelle. A première vue, la chose paraît logique car on ne peut invoquer une cause biologique (un trouble) si, par ailleurs, une cause psychologique (une déficience intellectuelle) est déjà présente et suffit à expliquer les difficultés rencontrées. Comme disaient les philosophes du Moyen-âge, il convient de « ne pas multiplier les êtres sans nécessité. » Ainsi, pour un élève « faible lecteur » qui présenterait une déficience intellectuelle, l’explication parcimonieuse des difficultés d’apprentissage de la lecture consiste à retenir la cause psychologique avérée (la déficience) et à écarter l’hypothèse biologique qui devient superflue.
Bien que régulièrement employée par des générations de chercheurs, cette heuristique peut être prise en défaut. Elle a été réfutée dans le cas de la dyslexie et il se pourrait que d’autres « dys » soient concernées. Dans un livre en anglais récent d’Elliott & Grigorenko (2014) intitulé « Dyslexie : le débat » il est montré, sur la base de deux décennies de travaux anglosaxons, que pour la grande majorité des « faibles lecteurs », les difficultés d’apprentissage de la lecture proviendraient d’une incapacité de traitement phonologique de bas niveau d’origine neurologique. Le seul traitement efficace de ce trouble consisterait en un entraînement spécifique par un personnel formé à cet effet. La cause biologique étant identifiée il n’y aurait, en toute logique, qu’à mettre en œuvre le traitement correspondant pour TOUS les « faibles lecteurs » en déficit phonologique. Sauf que ce serait trop simple ! Observons, en effet, que l’efficience intellectuelle n’entre pas ici en ligne de compte. Or, la logique institutionnelle est basée sur une définition de la dyslexie restreinte aux élèves à l’intelligence « normale. » Ainsi, au lieu de tous bénéficier du même traitement dont ils ont tous pareillement besoin, les « faibles lecteurs » se voient séparés en deux groupes : d’une part, (a) les dyslexiques (faibles lecteurs à l’intelligence normale) et, d’autre part, (b) les déficients intellectuels présentant des difficultés de lecture. Force est alors de se demander s’il n’y aurait pas là une pratique de nature discriminatoire dans la mesure où ces derniers ne peuvent plus bénéficier des moyens importants mis à la disposition des premiers. Par exemple, il existe des établissements de soin comme le CMPP de Sainte Suzanne qui prennent seulement en charge les élèves relevant des « dys », de sorte que ceux souffrants parfois de graves difficultés d’apprentissage mais présentant une déficience intellectuelle même légère n’ont pas accès aux soins proposés.
Qu’est-ce qui — au moins pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture — justifie cette différence de traitement alors que, il faut y insister, une foule de travaux ont montré qu’elles relèvent le plus souvent de troubles phonologiques bien identifiés et nécessitent par conséquent le même traitement de base, que l’on soit normalement intelligent ou pas ?
On doit d’autant plus se poser la question que, ainsi qu’Elliott & Grigorenko le soulignent, la démarche consistant à bilanter psychologiquement tous les faibles lecteurs pour opérer ce « tri » est longue et extrêmement coûteuse pour la société alors que quelques tests de lecture rapidement passés permettent d’identifier les besoins.
On me dira qu’il est toujours avantageux de disposer d’un bilan psychologique puisqu’on est alors beaucoup mieux renseigné sur les fragilités et les points forts de l’élève auquel on s’adresse. C’est peu contestable a priori sauf qu’il s’agit seulement d’un bénéfice et pas de la raison première pour laquelle le bilan est réalisé. Celle-ci devrait être questionnée car si le bilan psychométrique contribue à ce qui pourrait apparaître au final comme une discrimination médico-sociale, cela pose problème.
Le code de déontologie des psychologues leur fait obligation d’informer les personnes concernées des « objectifs, modalités et limites » de leur intervention mais pas des possibles conséquences d’une évaluation, même de nature à engendrer une discrimination par l’intelligence. Peut-être serait-il temps de prendre en compte cet aspect car, au moins pour la dyslexie (et probablement aussi pour la dyscalculie selon Léonard Vannetzel) les données scientifiques actuelles contestent la logique institutionnelle. Ne serait-ce pas manquer à l’éthique professionnelle que de continuer de collaborer à cette dernière sans s’assurer de son bien-fondé au regard des études récentes ?
Quoi qu’il en soit, il est clair que les personnels de soin en général, les psychologues en particulier, font individuellement de leur mieux pour pallier aux défauts de cette logique institutionnelle qui seule peut (et doit) être mise en cause. Il y a là, je crois, matière à une réflexion urgente car ajouter la discrimination au handicap n’est plus tolérable dans nos sociétés supposément avancées.
           

vendredi 13 mai 2016

Amour et sexualité (ma réponse à Yves Ferroul)

Il est compréhensible que l’auteur d’une conférence puisse être frustré en constatant de quelle manière ce qu’il cherchait à communiquer a été entendu. Mais s’il trouve là motif à faire des procès d’intention, c’est qu’il verse lui-même dans l’excès d’interprétation qu’il reproche à son supposé contempteur. Sous ce rapport le titre de votre billet du 26/4 (calomniez, calomniez, etc.), tel un lapsus, traduit parfaitement son contenu : vous portez de vaines accusations, je m’en vais le montrer tout à l’heure en supposant avec Héraclite que si « le combat est père et roi de tout » alors la polémique aura peut-être du bon pour le lecteur, qu’il s’agirait de ne pas ennuyer avec une dispute stérile.

Tout d’abord vous me reprochez d’avoir tu le titre de votre conférence. Avais-je obligation de le citer ? Votre diaporama n’affichait-il pas lui aussi le titre de votre livre, que je mentionne ? Pourquoi aurais-je caché ce titre ? Afin de vous reprocher ensuite de parler de sexualité conjugale ? Vous vous égarez : je ne vous ai rien reproché, notamment au sujet de l’idée que la durée du couple moderne tiendrait essentiellement à la sexualité car c’est une hypothèse à tout le moins plausible et donc légitime. Simplement je la crois fausse, donc je la discute et quoi de plus normal ? Cela ne m’a pas empêché de saluer votre tableau de la sexualité conjugale actuelle comme tout à fait juste. Que je puisse nourrir des inquiétudes à l’égard de l’hypersexualisation de la femme et d’une pornographie prise en modèle par la jeunesse, c’est mon droit le plus entier et affirmer, comme vous le faites, que je suis un père-la-morale parce que je cite Brassens dans le texte constitue un excès qui vous discrédite. 

Comme je l’ai indiqué, ce qui m’a paru discutable et qui a été amplement discuté par la salle, c’est le fait que vous ne parliez pas d’amour, ou si peu, alors que, vous en conviendrez, votre conférence annonçait une réflexion sur le mariage d’amour. Pour autant, je ne vous ai pas reproché de ne pas avoir traité votre sujet car la science y a fait peu de lumière. Je me suis seulement étonné du fait que vous teniez comme un fait de société prêtant peu ou pas à discussion votre thèse selon laquelle « fonder les mariages sur l’Amour donne une place exorbitante à la sexualité dans la réussite du couple. »  D’aucuns, dont je suis, trouvent là matière à s’alarmer et à débattre, ne vous en déplaise.

Pour le reste, si vous trouvez dans mon texte l’idée que vous légitimeriez la montée des violences conjugales, que puis-je dire ? Les bras m’en tombent ! Peut-être conviendrait-il de questionner votre narcissisme ? Vous êtes probablement frustré, je le conçois, vous vous pensez victime de reproches immérités, cela s’entend, mais rien ne peut justifier l’agressivité d’une réponse où vous m’accusez à tort de vous calomnier, de vous insulter, de vous faire je-ne-sais-quels reproches, de vous faire la leçon, etc. sans parler de tout ce que vous m’attribuez gratuitement (« aveuglé par ses préjugés », « sans vergogne », moralisateur, « pas à l’aise dans sa sexualité » ;-)). Quant aux épithètes grotesque, odieux, comique, je me demande à quel billet ils s’appliquent le mieux ?

C’est peu de dire que je regrette cette dispute que je crois sans fondement et tellement étrangère à la pratique scientifique où c’est d’idées et de faits que l’on discute, sans viser les personnes. Sachez quoi qu’il en soit que j’ai apprécié votre conférence et que mon texte, tout en traduisant ma position, visait à informer le lecteur de l’existence de votre ouvrage sans aucunement questionner son intérêt ou ses qualités intrinsèques.

Luc-Laurent Salvador pour l’association EDUCAPSY

Publié le 28 avril 2016 dans le Journal de l'Île de la Réunion, p 2

"Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose" (Réponse d'Yves Ferroul à mon précédent post)

Suite à la publication du post "Le Mariage est-il d'amour ou de désir ?" le 22/4 dans le JIR (Journal de l'Île de la Réunion), le conférencier Yves Ferroul a réagi le 25/4 dans le même journal avec un billet plein d'une colère qu'il s'efforce de légitimer par une position victimaire .

Comme je lui ai répondu par la même voie (cf. le post ci-dessus), je ne ferai pas ici de commentaire.

vendredi 22 avril 2016

Le mariage est-il d’amour ou de désir ?

Invité par les « Amis de l’Université », Yves Ferroul a présenté mercredi à Saint Paul une conférence érudite autour de son livre « le Mariage d’amour n’a que cent ans. » Il a d’abord proposé un savant historique destiné à montrer qu’il ne faut pas croire aux contes de fée et que le mariage a toujours été affaire de convenance et de contrat jusqu’à une bascule récente qu’il situe au cours du XIXe siècle.
C’est ensuite en tant que médecin sexologue qu’il s’est arrêté sur la nouveauté sans précédent de la situation des couples modernes — romantiques — censés relever le challenge de la durée d’un mariage basé, selon lui, sur la seule satisfaction sexuelle. De là viendrait la progressive introduction dans la « norme » du couple d’un éventail de pratiques que « ma mère m’a rigoureusement interdit de nommer ici » comme disait Brassens et qui étaient autrefois l’apanage des filles de joie. Il me semble que le constat est on ne peut plus juste.
Mais ce qui est discutable et qui a été même fort disputé, c’est la place de l’amour dans ce tableau. En effet, le sexe n’est pas l’amour et, de ce dernier, Yves Ferroul parle fort peu. On ne saurait le lui reprocher vu que la science est loin d’en avoir levé les mystères mais tout de même, de là à accepter sans broncher l’hypersexualisation de la femme et la pornographie rampante comme des moyens de faire durer des mariages minés par la routine sexuelle, il y a de la marge. Quand le salut du mariage d’amour semble devoir passer, entre autres, par l’échangisme et le sadomasochisme, peut-être serait-il temps de se demander « de quoi parle-t-on ? »
Eros, le désir, est un sacré moteur, mais il n’est pas le tout de l’amour.  Ce dernier est aussi Agapé, le don, cet amour que l’on dit chrétien mais qui inclut celui que les parents portent à leur enfant, qui est sans condition. Enfin, l’amour est Philia et nous le connaissons bien sous la forme qu’il prend dans l’amitié. Or quoi de plus durable que l’amitié ?
N’est-il pas évident que les couples qui durent heureux vivent en amitié, dans la Philia, dans une bonne réciprocité de désir et de don où les défaillances du premier, (Eros) sont amplement compensées par l’abondance du second (Agapé) ? L’amour chevaleresque n’était-il pas avant tout basé sur la maîtrise du désir comme marque du respect pour l’être aimé ? C’est peu de dire que notre époque y a tourné le dos et que la plupart des mariages d’amour ne sont que des mariages de désir, sexuel ou autre. Comme dans nos sociétés de consommation, l’immaturité et l’intolérance à la frustration ne cessent de croître, les niveaux atteints par la violence conjugale n’ont rien de surprenant.
Vivre un mariage d’amour nécessite une éducation à la maîtrise de soi, à l’écoute et au respect de l’autre, comme de soi-même, bref, une éducation psychologique qui fait toujours cruellement défaut.
Ne serait-il pas temps de s’y mettre ?
 
Luc-Laurent Salvador, pour l'association EDUCAPSY

Violence, mentalités et éducation


Si tant est que nous l’ayons jamais tolérée, la violence conjugale a atteint ces derniers jours le seuil de l’inacceptable. Chacun sent bien qu’on ne peut continuer ainsi et qu’il est grand temps de se remettre en question. Améliorer la protection et la prise en charge des victimes reste assurément une priorité tant les besoins sont grands mais on ne saurait se contenter de traiter les symptômes d’une maladie sans rechercher la guérison. Aussi nous devons, ainsi que nous y invite le maire de Bras Panon, « tout faire pour changer les mentalités ».
Par mentalités, il faut entendre ce qui relève du mental, de la psychologie, mais pas celle de l’individu pris isolément, celle du collectif.  Le terme mentalités au pluriel renvoie en effet à nos représentations sociales, nos normes de pensée et, par conséquent, à nos usages, nos automatismes sociaux et autres habitus qui, une fois intériorisés, amènent tout un chacun à se croire légitime lorsqu’il fait « comme tout le monde. » Se mettre en colère, récriminer, accuser, crier, menacer, insulter, frapper, voilà la « banalité du mal » qui, en s’offrant quotidiennement comme exemple ou modèle, suscite une contagion du mal chez l’humain, cet « animal mimétique » par excellence dont l’histoire, ainsi que René Girard, l’anthropologue récemment disparu, n’a cessé d’y insister, est, depuis l’aube des temps, une histoire de violence et une histoire de tentatives toujours inabouties pour canaliser cette dernièrevia les religions, les cultures et les institutions.
Une fois posé ce diagnostic, une fois admis que les innombrables expressions de violences conjugales, familiales, sexuelles, groupales, institutionnelles, symboliques etc. que chacun constate ou subit chaque jour au sein de nos sociétés dites modernes constituent la principale source de violence — dans la mesure où, encore une fois, chacun est tout naturellement, mimétiquement, enclin à les reproduire et, en particulier, les enfants puisqu’ils sont les premières victimes et par conséquent, les premiers élèves de cette éducation à la violence par la violence  — quelles solutions pouvons-nous mettre en œuvre tant individuellement que collectivement, c’est-à-dire, solidairement, sachant par ailleurs qu’il nous est interdit de jouer à l’autruche et qu’heureusement, il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre ?
La réponse qui va de soi, que nous connaissons tous — et que nous pourrions donc, en toute inconscience suicidaire, considérer comme banale ou vaine — ne serait-elle pas l’éducation ? N’est-il pas évident que la solution au problème de la violence ne saurait provenir des seuls traitements policier, judiciaire et médico-social ? Qui ne voit que la prévention de la violence (donc le fait qu’elle n’apparaisse tout simplement pas) a pour condition sine qua non l’éducation à la résolution des conflits inhérents à toutes relations humaines, c’est-à-dire, l’apprentissage d’« habiletés » d’écoute, d’empathie, de dialogue et de maîtrise de soi ? Un enfant qui apprend à : 1) se connaître lui-même, 2) comprendre son semblable 3) le respecter et 4) se réconcilier avec lui (s’il a échoué aux deux points précédents), ne sera-t-il pas plus à même d’entretenir des relations épanouissantes et de contribuer ainsi activement au Bonheur National Brut ?
Eduquer à la réconciliation non violente, c’est-à-dire, à la paix acquise par la paix — et non conquise par la force et la domination — en donnant à chacun les moyens de faire obstacle à la contagion de la violence, en donnant à chacun les moyens d’éteindre les étincelles engendrées par des rapports humains que la libération permanente des désirs et l’intolérance grandissante à la frustration rendent toujours plus agressifs, voilà ce dont a besoin une société saine, c’est-à-dire, tout à la fois vivante et paisible.
Nos sociétés modernes et postmodernes qui s’empressent d’éduquer à mille choses techniques et, en particulier, l’informatique, ne pourraient-elles consacrer un minimum de ressources à l’éducation psychologique de l’enfance à l’adolescence afin que ces futurs citoyens sachent interagir de manière plus apaisée et plus heureuse avec leurs semblables et avec eux-mêmes ?
Il existe, ici et là, des enseignants motivés qui tentent d’ouvrir la voie à de tels apprentissages, avec par exemple l’éducation émotionnelle ou la « communication non violente » mais quand se décidera-t-on à institutionnaliser, c’est-à-dire, généraliser, ces pratiques aussi utiles qu’urgentes ? Si, ayant pris la mesure des besoins et de la demande de la société civile sous le rapport de la communication et de l’apaisement des conflits, les hommes politiques se décidaient à agir, donc à programmer et à financer de telles activités éducatives, les choses pourraient aller très vite car les bonnes volontés ne manquent pas.
Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY

Paru le 16 avril dans le courrier des lecteurs du Journal de l'Île de la Réunion, en page 2.
/ http://www.clicanoo.re/519032-violence-mentalites-et-education.html

jeudi 17 mars 2016

Alcool & autres drogues chez les jeunes : la prévention ne doit pas se tromper de cible

Article paru dans la section Forum (p. 20) du Journal de l'Ile de la Réunion (JIR) le 17/03/2016. Il est aussi accessible en ligne dans le courrier des lecteurs du jour.

Le pédopsychiatre Daniel Bailly, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste du comportement des adolescents, est venu à la Réunion à l’occasion du récent colloque régional de la FRAR « Pour un usage modéré et responsable de l’alcool. Quelles solutions pour La Réunion ? » Invité à la radio Réunion 1ère, il a livré une interview d’une rare lucidité et complètement à rebours de nos idées reçues concernant la prévention de la consommation de drogues chez les jeunes. Comme nous sommes tous concernés et que son propos devrait, je crois, être entendu par un maximum de personnes, voici l’essentiel de l’entretien réalisé par Karl Sivatte :

  • Faut-il privilégier l’éducation à la prévention ?

Oui, mais il faut savoir ce que c’est que la prévention. Or, la prévention c’est : il faut oublier le produit ! La prévention ne doit pas cibler le produit, la prévention doit cibler le sujet. Le problème de l’abus, de la dépendance, de l’ivresse, ce n’est pas le problème de l’alcool, c’est le problème du sujet et de savoir comment ce sujet va utiliser le produit. Tant qu’on focalisera la prévention sur les produits, on se trompera de cible.
La prévention, c’est un état d’esprit, c’est un problème d’éducation. C’est apprendre à nos enfants à devenir des adultes autonomes, responsables, avec un esprit critique, d’être capable de résister aux pressions sociales, d’être capable d’analyser les informations qu’on leur donne et de savoir, eux, quelles sont les valeurs qu’ils veulent défendre dans ce monde. C’est ça le problème de la prévention et tant qu’on va focaliser sur le produit, tant qu’on fera des actions ponctuelles comme ça, on se trompera et on aura aucune efficacité.

  • Est-ce qu’il faut ne pas hésiter à se tourner vers des professionnels, des techniciens ?

Oh ce n’est pas les professionnels, le problème de la prévention, c’est le problème des parents et le problème des enseignants. Les enfants, leurs attitudes et leurs comportements sont déterminés par ceux qui s’occupent d’eux. Ce n’est pas le professionnel dans son bureau à l’hôpital qui s’occupe des enfants, c’est les parents et les enseignants.
On sait que les programmes qui marchent le mieux, ce sont les programmes qui démarrent précocement, dès l’école primaire, qui sont intégrés au cursus scolaire, et dans lesquels on va aider les enfants à développer ce qu’on appelle les compétences psychosociales. Par exemple s’affirmer, par exemple les relations interpersonnelles, comment résoudre les problèmes, comment s’intégrer dans la communauté, comment gérer son stress, c’est ça qui marche et ce n’est pas du tout en focalisant sur l’alcool ou sur la drogue. Donc ces programmes doivent être pérennes, c’est-à-dire que ça doit être intégré dans le cursus. Ça veut dire aussi que l’Education Nationale doit se poser une question : quelle est sa mission, est-ce que sa mission c’est de transmettre des connaissances ou est-ce que sa mission c’est de faire des enfants, des adultes par la suite, des adultes responsables ? Et tant qu’on ne se posera pas cette question-là je crois qu’on tournera en rond et qu’on ne s’en sortira pas.

  • La peur du « qu’en dira-t-on ? » : comment aider les familles ?

Ça, c’est un autre problème, c’est-à-dire, que la prévention c’est en amont. Quand un problème survient, là c’est pareil, on me demande toujours quels sont les signes qui doivent alerter quand un sujet consomme du cannabis, de l’alcool. Ces signes n’ont rien à voir avec l’alcool et le cannabis. Un adolescent qui va commencer à consommer abusivement, c’est un adolescent qui va mal. Ce n’est pas l’alcool qui fait l’alcoolique, c’est le sujet qui fait que l’alcool devient un problème pour lui. Or ça aussi c’est repérable très précocement. C’est-à-dire qu’on sait qu’un enfant qui va présenter des troubles anxieux, des troubles dépressifs a deux fois plus de risques qu’un autre de développer par la suite des comportements d’abus. On sait qu’un enfant hyperactif est un enfant à risque. On connaît tout ça. Ça veut dire que très précocement il faut savoir repérer les enfants qui sont en difficulté, en souffrance, et les aider à surmonter ces difficultés. Mais ça n’a rien à voir avec l’alcool et les drogues.

  • Les clés alors pour ce genre de situation ?

Les clés ? Je crois qu’il faut être attentif à nos enfants. Je crois qu’il faut se poser la question des valeurs qu’on veut leur transmettre, du monde qu’on veut leur léguer, et la question de ce qu’on veut donner à la société pour améliorer l’éducation de nos enfants. Je crois que c’est ces questions-là qui sont essentielles. Ce n’est pas la question de la publicité, ce n’est pas la question des distributeurs ou des producteurs d’alcool, ça n’a rien à voir. C’est vraiment des questions politiques ; mais politique au sens noble, c’est-à-dire, politique personnelle, c’est à nous de réfléchir sur ce qu’on est prêt à faire et ne pas faire pour nos enfants.

  • La première « sortie », comment l’appréhender quand on se pose des questions ?

C’est logique, quand vous êtes un jeune il faut quand même que vous fassiez des choses que les parents n’ont pas faites et il faut quand même que vous expérimentiez les choses. Il y a toujours une première fois. Alors, il faut savoir que quand on regarde l’évolution de la consommation, autant les enfants consomment à la maison, autant à l’adolescence les comportements changent parce que les adolescents ont besoin de se démarquer des valeurs qui les ont guidés qui sont essentiellement les valeurs parentales et ils vont s’appuyer sur le groupe des copains pour pouvoir continuer à progresser et il y a toute une période où c’est le groupe des pairs qui est le plus important.
Alors les parents nous disent souvent « s’il va mal ou s’il consomme trop c’est la faute des copains ». Ce n’est pas vrai. On sait que les adolescents choisissent le groupe en fonction de ce qu’ils sont. Et les adolescents à risque vont choisir préférentiellement des copains déviants. Et il faut bien que tout ça s’expérimente entre groupes. [Pour] un adolescent le groupe c’est important, ça lui permet d’appréhender les questions qu’il se pose de manière relativement sereine parce qu’il sait que c’est partagé avec ses pairs. Et à cette période-là, les pairs, ils sont très importants.
Mais je crois qu’il faut rassurer les parents. La majorité des adolescents vont bien, on focalise tout sur les adolescents, mais ils vont même mieux que la majorité des adultes. Alors peut-être qu’il faudrait se poser des questions sur notre santé à nous et arrêter de tout focaliser sur les adolescents.

  • Le premier cas d’ivresse : comment réagir ?

Une première ivresse à 16, 17 ans, partagée entre copains, ce n’est pas grave. On sait que ceux qui vont devenir des consommateurs abusifs ou dépendants, leur première ivresse ce n’est pas 16 ans, 17 ans, c’est avant 12 ans. Et c’est ceux-là qu’il faut repérer. C’est logique de faire la fête entre copains. C’est logique de transgresser quand on est adolescent. Et heureusement, s’il n’y avait pas ça, ils ne seraient pas des adolescents. Le problème c’est comment notre société peut encadrer ces choses-là pour que ça n’ait pas de conséquences dommageables. C’est-à-dire, qu’il faut qu’il y ait à la fois un regard tolérant et l’idée que, au fond, notre rôle ce n’est pas de dire ce qui est bien et ce qui est mal. Notre rôle c’est d’être un guide et un guide c’est un filet de sécurité. C’est-à-dire, comment faire [pour] que nos adolescents puissent expérimenter ce qu’ils doivent expérimenter pour devenir adultes mais de telle façon que, si jamais ça dérape, ils aient les moyens de rebondir et qu’on puisse les aider à rebondir, c’est ça le seul problème.

  • Le dialogue reste fondamental dans cette période ?

Alors plus que le dialogue c’est de savoir mettre en accord acte et parole. Je crois que c’est notre exemplarité qui va faire que nos enfants changent. On ne peut pas dire à un enfant que l’alcool est mauvais et tous les soirs en rentrant du travail s’attabler pour éviter d’être confronté aux récriminations de son épouse en buvant un verre de whisky ou de rhum. Ce n’est pas possible quoi ! Il faut bien comprendre que les enfants très tôt sont confrontés aux attitudes et aux comportements de leurs parents vis-à-vis de l’alcool et des produits et c’est ça qui va déterminer les choses. Si un enfant précocement perçoit que ce produit est utilisé par ses parents pour régler les problèmes de la vie quotidienne, pour faire en sorte qu’on ne parle de rien et que tout va bien, oui cet enfant-là il aura de grande chance d’intégrer ce comportement-là dans son répertoire relationnel par la suite.

  • Un conseil à partager à la fois avec les jeunes et les parents ?

Alors, aux jeunes c’est de leur dire que quand ils sont en difficulté ou quand ils ont l’impression que quelque chose n’est pas normal ou ne va pas, qu’ils en parlent. C’est important parce qu’on s’aperçoit que les jeunes qui prennent un parcours vers l’abus et la dépendance, ce sont souvent des jeunes qui ont émis des signes de souffrance et qui n’ont pas été entendus. Donc il ne faut pas hésiter qu’ils en parlent et aux adultes je leur dirais mais « soyez des adultes responsables », c’est-à-dire, des adultes attentifs, disponibles et n’ayez pas peur de montrer qui vous êtes, parce qu’il n’y a rien de pire que de tricher avec un enfant.


Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY

Au secours des nouveaux enseignants

Article paru au courrier des lecteurs du journal Le Quotidien le 06/02/2016. Le titre original proposé était "Suicide dans l'Education Nationale". La rédaction du journal l'a changé (en mieux je crois) et a ajouté la photo ci-dessous.


     Le hasard a voulu qu’en assistant à la première conférence d’une série consacrée au suicide (« googlez » : suicide + agenda + odayen) j’apprenne que mon meilleur élève de l’an passé s’est suicidé. Sa veuve est, en effet, venue témoigner de son désarroi et de celui de ses enfants. Elle n’a pas dit son nom mais je l’ai immédiatement reconnu. Il préparait alors le concours de professeur des écoles après un « burn-out » dans le secteur bancaire.
     Brillant comme il l’était, j’avoue que je n’ai pas vu venir le désastre. Mais pour avoir fréquenté l’Education Nationale durant des décennies, notamment en tant que psychologue et formateur, je ne sais que trop bien ce qui lui est arrivé. Il a vécu le « reality shock » de l’enseignant débutant qui arrive à l’école la tête plein d’idéaux et qui se trouve plongé dans une situation marécageuse et terriblement anxiogène. Car c’est dans le contexte d’une classe qui n’est pas la leur, avec une formation partielle trop théorique et un soutien quasi inexistant que les professeurs d’école stagiaires font leur premiers pas dans le métier, avec la hantise d’une évaluation aux critères nébuleux.
    Pour une personne intelligente, sensible et consciencieuse, risquer ainsi son identité professionnelle et personnelle dans des conditions où dominent l’approximatif et donc, jusqu’à un certain point, l’arbitraire, ce n’est pas une épreuve, c’est une ordalie. On voudrait rendre quelqu’un paranoïaque ou dépressif, on ne s’y prendrait pas autrement. Il est clair qu’il vaut mieux être jeune pour supporter cette épouvantable « montée au front » de l’éducation. La moindre fragilité narcissique y devient un handicap. Le Dr Paratian suggérait d’ailleurs que 50 % des enseignants seraient dépressifs.
    Les statistiques ne sont pas connues mais on peut penser que tous les professeurs d’école stagiaires souffrent ; certains craquent, se mettent en longue maladie, démissionnent... ou se suicident.
    Il serait temps que l’Education Nationale et ses syndicats se saisissent de ce problème pour offrir des conditions sécurisantes aux stagiaires. On ne peut laisser une telle casse se poursuivre indéfiniment. Je ne dis pas que c’est la solution mais si les psychologues de l’Education Nationale avaient des secteurs moins démesurés, ils pourraient accompagner et/ou coacher les nouveaux venus bien mieux que ne peuvent le faire des « tuteurs » blanchis sous le harnais pédagogique mais souvent incompétents en relations humaines. Ils pourraient ainsi éviter que certains ne croient avoir d’autre issue que le suicide.

Luc-Laurent SALVADOR, pour l’association EDUCAPSY 

Prévenir l’embrigadement terroriste par l’éducation

Article proposé à divers journaux nationaux (30/12/2015) ainsi qu'au courrier des lecteurs des deux éditions locales de la Réunion (21/01/2015), tout cela sans succès.

Le phénomène de société que constitue par son ampleur et ses formes l’embrigadement djihadiste est-il lié à la nature ou à l’histoire de l’islam ? Opère-t-il une radicalisation inhérente à la notion de djihad ou doit-on plutôt y voir, comme le suggère Olivier Roy dans un excellent article du Monde daté du 24 novembre, la conséquence d’un besoin individuel de radicalité qui s’alimente à un storytelling djihadiste de circonstance ?

Le texte d’Olivier Roy balaye les innombrables explications mettant en cause les religions en général, l’islam en particulier, en rappelant les faits suivants :
  1. De tous temps des jeunes en sont venus à se rallier à des causes pour lesquelles ils étaient prêts à tuer comme à sacrifier leurs vies :
« Le ralliement de ces jeunes à Daech est opportuniste : hier, ils étaient avec Al-Qaida, avant-hier (1995), ils se faisaient sous-traitants du GIA algérien ou pratiquaient, de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par la Tchétchénie, leur petit nomadisme du djihad individuel (comme le « gang de Roubaix »). Et demain, ils se battront sous une autre bannière, à moins que la mort en action, l’âge ou la désillusion ne vident leurs rangs comme ce fut le cas de l’ultragauche des années 1970. »
Daesh s’inscrit donc dans un ensemble d’organisations idéologiques religieuses ou athées qui, tout au long de l’histoire, ont offert l’occasion à des individus de se radicaliser jusqu’à envisager des actions terroristes, éventuellement suicidaires. Quelque discutable qu’elle soit par ailleurs, la nature islamique proclamée de Daesh est donc ici d’emblée écartée du statut de cause explicative de l’embrigadement djihadiste actuel. Daesh est tout au plus une circonstance, une offre qui rencontre une demande. Reste à savoir laquelle.
  1. La même logique s’applique à la « souffrance postcoloniale ». S’il y avait là une cause structurelle de l’embrigadement djihadiste pourquoi seule une infime part des personnes concernées se trouveraient-elles affectées ? A l’exception de quelques provocateurs chacun peut constater l’existence d’un « consensus fort » des musulmans de France et/ou des anciens colonisés pour vivre en paix hors de tout ressentiment victimaire. De fait, comme le souligne Olivier Roy, les recrues du djihadisme se trouvent en marge des communautés musulmanes et n’ont « presque jamais un passé de piété et de pratique religieuse, au contraire. »
  2. Ceci est d’autant plus vrai qu’une bonne part d’entre eux sont des « convertis de souche », qui plus est, souvent originaires des campagnes françaises et donc passablement isolés des communautés musulmanes.
Les causes du phénomène d’embrigadement djihadiste ne pouvant, en toute logique, être attribuées à ces facteurs situationnels communs que sont l’islam ou la colonisation, il convient alors de les rechercher parmi les dispositions communes aux sujets concernés.
Or, là, pas d’hésitation, nous disposons d’un invariant trop évident et trop significatif pour être ignoré : la catégorie d’âge des candidats au djihad.
Ainsi que divers spécialistes y insistent (cf. Dounia Bouzar, Fethi Benslama, etc.), il s’agit de jeunes qui se situent pour la plupart entre 15 et 25 ans. Ce constat élémentaire mène droit à la problématique délicate du processus de (re)construction identitaire ou subjective propre à l’adolescence et marqué par une forme de rupture avec le monde des parents. Le passage de l’enfance à l’âge adulte suppose en effet un changement de régime relationnel et/ou intersubjectif qui peut considérablement fragiliser un individu même bien inséré.
Il va de soi que seront surtout concernés ceux qui, étant issus d’un milieu familial peu nourricier, peinent à s’affirmer, c’est-à-dire, à être reconnus pour leurs qualités et leurs accomplissements par l’entourage social correspondant à leurs aspirations. L’adolescent en filiation échouée qui n’a pas une bonne image de ses parents et n’acquiert pas une bonne image de lui-même dans le « miroir social » de pairs parfois inexistants aura une plus grande appétence et sera donc moins regardant vis-à-vis de ce qui s’offre à lui, notamment sur internet, pour alimenter son besoin identitaire sous la forme — caractéristique de cet âge — premièrement, d’une affiliation qui le valide dans son être et, deuxièmement, d’une « fable personnelle » lui permettant de se voir comme unique, omnipotent, invulnérable avec un destin particulier, voire une mission.
Mais ce vif besoin d’un devenir héroïque, permet aussi de comprendre que même les adolescents qui semblent réussir, tant d’un point de vue social que scolaire, puissent prêter l’oreille aux sirènes du djihadisme. Un être sensible, intelligent et idéaliste qui observe le monde actuel sans a priori constatera immanquablement sa profonde corruption et pourrait alors prêter l’oreille à des discours de rupture, même ceux sollicitant un engagement total pour contribuer à l’avènement d’un monde de vérité et de justice. N’offrent-ils pas une occasion, somme toute, inespérée de s’affirmer et même de s’accomplir d’une manière encore perçue comme la plus noble : par le sacrifice de soi ?
Bref, dans le contexte actuel, le tableau de l’adolescence laisse bel et bien à penser que la fragilisation du soi qui le caractérise pourrait constituer le terreau commun aux différentes formes de radicalisation. N’est-elle pas déjà la source de la radicalité propre à l’adolescence qui se manifeste dans les conduites à risques (sexe, alcool, violence et autres addictions), l’anorexie, la dépression, l’automutilation, le suicide, etc. ?
Ce rapprochement avec la pathologie est d’autant plus intéressant que lorsqu’on en vient à s’interroger sur les possibles moyens de prévention de la radicalisation, on ne peut pas ne pas tenir compte du fait que la psychoéducation constitue une forme de thérapie très efficace dans chacun de ces différents domaines et même pour la schizophrénie, caractéristique, elle aussi, de l’adolescence. Cette forme d’intervention consiste à fournir à la personne concernée — comme à son entourage — les connaissances psychologiques nécessaires pour acquérir une représentation plus juste, plus efficace et donc une meilleure maîtrise de sa situation.
On peut ainsi penser qu’une psychoéducation axée sur les mécanismes de la construction sociale du « soi » et de la « réalité », en particulier à l’adolescence, ferait barrage aux phénomènes de radicalisation, djihadiste ou autres. Mais comment toucher les rares individus concernés si ce n’est en ciblant la population adolescente dans son ensemble, c’est-à-dire, en mettant en œuvre une véritable prévention ?
Considérer qu’en dépit du risque présent, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle serait probablement faire un mauvais calcul. La fragilité mentale des adolescents ne constitue-t-elle pas, déjà, en soi, un grave problème de santé publique ?
Ne serait-il pas salutaire de mettre les savoirs sur la construction sociale de la personne à portée des adolescents — avec des supports attrayants (vidéos, BD,...) dans les différents (cyber)espaces qu’ils fréquentent et, en particulier, les établissements d’enseignements — plutôt que de les laisser cantonnés à des ouvrages spécialisés ?
Alors que d’aucuns revendiquent une éducation philosophique de la maternelle à l’université, il me semble que le mal-être adolescent et, de manière générale, le malaise dans l’éducation appellent une éducation à la psychologie sociale interpersonnelle (loin de la vulgate psychanalytique) qui donnerait à chacun les moyens de comprendre comment il se construit dans le « miroir social », c’est-à-dire, comment la dynamique de ses émotions, de ses pensées, de ses désirs et de ses actes se trouve influencée par l’innombrable variété des formes sous lesquelles le jugement des autres vient à se refléter sur l’image de soi. L’intériorisation du « regard » des autres nourrit le soi mais le rend dépendant et surtout manipulable s’il n’en a pas conscience.
Eduquer à la psychologie du soi — et donc à la santé mentale — constituerait une forme de prévention de l’embrigadement d’autant plus intéressante qu’en contribuant à former des citoyens davantage en maîtrise d’eux-mêmes, plus conscients et donc plus libres, on peut en escompter non seulement une réduction des risques sanitaires liés à l’adolescence mais aussi une réduction sensible de la conflictualité sociale, étant donné que le narcissisme, c’est-à-dire la défense de l’image de soi, constitue une des principales sources de violence.
Permettre qu’au moins à titre expérimental un tel enseignement soit prodigué ne serait-ce qu’à des élèves de terminale sous la forme d’une recherche-action menée dans quelques lycées pilotes pourrait constituer une réponse novatrice au risque de radicalisation en cela que, éducative et préventive plutôt que répressive, elle apparaîtrait tout à la fois pertinente, simple et peu coûteuse donc bienvenue en ces temps de crise budgétaire.

Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY