Depuis une
vingtaine d’années, en dépit de tous les rapports, plans,
circulaires, réformes et « refondations », le niveau de la
violence au sein des établissements scolaires croît d’une
manière d’autant plus alarmante que, comme y a insisté
l’anthropologue René Girard, rien n’est plus contagieux que la
violence. Il semblerait que nous allions de plus en plus vite
vers les extrêmes, vers l’insupportable, que la situation de
Mayotte semble préfigurer.
N’y aurait-il pas,
dès lors, urgence à (1) reconnaître que ce que tout ce qui a été
mis en œuvre jusqu’à présent s’est révélé insuffisant ou a
échoué et (2) se demander si les solutions qu’on nous propose
actuellement ne seraient pas tout aussi vaines ?
Quelles qu’en
soient ses modalités, le contrôle social et policier pour le
bien des familles et de leurs enfants relève d’une logique
sécuritaire qui fleure bon le totalitarisme et qui pourrait
affaiblir encore notre fragile démocratie en infantilisant une
part grandissante de la population.
C’est pourquoi, il
me semble qu’avant de rechercher l’assistance des services
sociaux et de la police, l’institution scolaire serait bien
inspirée de se remettre en cause.
La question se pose en effet
de savoir si le manque de respect, les incivilités et la
violence sont seulement le fait des élèves. Ceux qui sont
parents ne savent-ils pas tous, plus ou moins confusément, que
le ton cassant, impérieux des enseignants du passé, leurs cris,
leurs colères, leurs menaces, leurs brimades, leurs
humiliations, leurs moqueries, leurs insultes et autres
violences psychologiques (sans parler des violences physiques ou
tout simplement des notes punitives) restent grosso modo
d’actualité ?
Que des
enseignants se sentent
obligés de recourir à de telles méthodes quand ils doivent gérer
tant de jeunes indifférents aux limites comme à la parole de
l’adulte, on le comprend d’autant mieux qu’ils ont eu, pour la
plupart, cela pour modèle au cours de leur propre scolarité et,
par la suite, aucune formation sérieuse sous le rapport de
l’autorité, alors même qu’une de leurs missions premières est de
l’exercer et de la maintenir.
Le problème est
que cette véritable guerre des générations a pour origine un
quiproquo de proportions tellement gigantesques qu’il échappe au
regard. En effet, il conviendrait de voir qu’en dépit de la
Révolution, on n’a eu de cesse
de maintenir la jeunesse dans l’Ancien Régime au sens où
l’enfant (du latin infans
qui veut dire « n’a pas la parole ») est censé être assujetti à
l’adulte et non pas « sujet. » Or, au cours du siècle dernier,
grâce notamment à la pub, une révolution silencieuse a eu lieu :
on a laissé les jeunes prendre la parole et... le pouvoir ! De sorte que les parents
amènent à l’école des « sujets » en « toute-puissance » quasi
sourds à la volonté adulte. A ces révolutionnaires qui
s’ignorent mais réclament à juste titre le respect de leur
personne, allons-nous envoyer la police ou saisirons-nous enfin
l’occasion de leur proposer une éducation véritablement
démocratique, c’est-à-dire, respectueuse, structurante et
formatrice ? Bref, allons-nous enfin accomplir la Révolution
dans sa dimension éducative ?
Il n'y aurait rien
là de compliqué a priori
puisque tout le monde connaît les principes démocratiques mais
imaginez quel bouleversement ce serait : (a) des règles de
classe, de cour, de cantine et d’établissement explicites,
justes, proportionnées et consensuelles car adoptées après des
débats et des décisions impliquant tous les élèves, (b) des
sanctions positives et négatives pareillement conçues et qui,
bien sûr, excluraient définitivement l’affreux répertoire (listé
plus haut) du tyran éclairé que trop d’enseignants s’autorisent
encore à divers degrés et, enfin, (c) des activités choisies par
les élèves et non pas imposées en fonction des programmes par
celui qu’on appelle encore le « maître. »
Cela fait plus
d’un siècle que les Pédagogies Nouvelles ont ouvert la voie
d’une éducation respectueuse du jeune mais elles ont été
reléguées à la marge. Une éducation démocratique permettrait à
peu de frais d’en généraliser l’esprit et de contribuer ainsi à
la réussite de tous les élèves ainsi qu’à une véritable
formation citoyenne dont la nation a grand besoin.
Qu’attend-on pour
y venir : que les enseignants désertent une profession
impossible ? Que les cours d’écoles, qui ont toujours été plus
ou moins des zones de non droit, deviennent de vraies cours des
miracles ? Que les élèves en ressortent à des logiques tribales
pour se sentir protégés — alors qu'il
s'agit là du premier devoir de l’autorité ?
Quoi qu’il en
soit, les jeunes ayant fait leur révolution, nous n’avons plus
le choix : l’éducation publique sera démocratique ou ne sera
pas.
Luc-Laurent
Salvador pour l’association EDUCAPSY
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire