Si tant est que nous l’ayons jamais tolérée, la
violence
conjugale a atteint ces derniers jours le seuil de l’inacceptable.
Chacun sent
bien qu’on ne peut continuer ainsi et qu’il est grand temps de se
remettre en
question. Améliorer la protection et la prise en charge des
victimes reste assurément
une priorité tant les besoins sont grands mais on ne saurait se
contenter de traiter
les symptômes d’une maladie sans rechercher la guérison. Aussi
nous devons, ainsi
que nous y invite le maire de Bras Panon, « tout faire pour
changer les
mentalités ».
Par mentalités, il faut entendre ce qui relève
du mental, de
la psychologie, mais pas celle de l’individu pris isolément, celle
du collectif. Le terme mentalités
au pluriel renvoie en effet à nos représentations sociales, nos
normes de
pensée et, par conséquent, à nos usages, nos automatismes sociaux
et autres habitus qui,
une fois intériorisés,
amènent tout un chacun à se croire légitime lorsqu’il fait « comme
tout
le monde. » Se mettre en colère, récriminer, accuser, crier,
menacer, insulter,
frapper, voilà la « banalité du mal » qui, en s’offrant
quotidiennement comme exemple ou modèle, suscite une contagion du
mal chez
l’humain, cet « animal mimétique » par excellence dont l’histoire,
ainsi que René Girard, l’anthropologue récemment disparu, n’a
cessé d’y
insister, est, depuis l’aube des temps, une histoire de violence
et une
histoire de tentatives toujours inabouties pour canaliser cette
dernièrevia les
religions, les cultures et les
institutions.
Une fois posé ce diagnostic, une fois admis que
les innombrables
expressions de violences conjugales, familiales, sexuelles,
groupales,
institutionnelles, symboliques etc. que
chacun constate ou subit chaque jour au sein de nos sociétés dites
modernes constituent
la principale source de violence — dans
la mesure où, encore une fois, chacun est tout naturellement,
mimétiquement, enclin
à les reproduire et, en particulier, les enfants puisqu’ils sont
les premières
victimes et par conséquent, les premiers élèves de cette éducation
à la
violence par la violence —
quelles solutions pouvons-nous mettre en œuvre tant
individuellement que
collectivement, c’est-à-dire, solidairement, sachant par ailleurs
qu’il nous
est interdit de jouer à l’autruche et qu’heureusement, il n’est
point besoin
d’espérer pour entreprendre ?
La réponse qui va de soi, que nous connaissons
tous — et que
nous pourrions donc,
en toute inconscience suicidaire, considérer comme banale ou vaine — ne serait-elle
pas
l’éducation ? N’est-il pas évident que la solution au problème de
la
violence ne saurait provenir des seuls traitements
policier, judiciaire et médico-social ? Qui ne voit que la prévention de la violence (donc le fait qu’elle
n’apparaisse tout
simplement pas) a pour condition sine qua non
l’éducation à la résolution des conflits inhérents à toutes
relations humaines,
c’est-à-dire, l’apprentissage d’« habiletés » d’écoute,
d’empathie,
de dialogue et de maîtrise de soi ? Un enfant qui apprend à : 1)
se
connaître lui-même, 2) comprendre son semblable 3) le respecter et
4) se
réconcilier avec lui (s’il a échoué aux deux points précédents),
ne sera-t-il
pas plus à même d’entretenir des relations épanouissantes et de
contribuer
ainsi activement au Bonheur National Brut ?
Eduquer à la réconciliation non violente,
c’est-à-dire, à la
paix acquise par la paix — et
non conquise par la force et la domination — en donnant à chacun les moyens de faire
obstacle à la
contagion de la violence, en donnant à chacun les moyens
d’éteindre les
étincelles engendrées par des rapports humains que la libération
permanente des
désirs et l’intolérance grandissante à la frustration rendent
toujours plus agressifs,
voilà ce dont a besoin une société saine, c’est-à-dire, tout à la
fois vivante
et paisible.
Nos sociétés modernes et postmodernes qui
s’empressent
d’éduquer à mille choses techniques et, en particulier,
l’informatique, ne
pourraient-elles consacrer un minimum de ressources à l’éducation
psychologique
de l’enfance à l’adolescence afin que ces futurs citoyens sachent
interagir de
manière plus apaisée et plus heureuse avec leurs semblables et
avec
eux-mêmes ?
Il existe, ici et là, des enseignants motivés
qui tentent
d’ouvrir la voie à de tels apprentissages, avec par exemple
l’éducation
émotionnelle ou la « communication non violente » mais quand se
décidera-t-on à institutionnaliser, c’est-à-dire, généraliser, ces
pratiques
aussi utiles qu’urgentes ? Si, ayant pris la mesure des besoins et
de la
demande de la société civile sous le rapport de la communication
et de
l’apaisement des conflits, les hommes politiques se décidaient à
agir, donc à programmer
et à financer de telles activités éducatives, les choses
pourraient aller très
vite car les bonnes volontés ne manquent pas.
Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY
Paru le 16 avril dans le courrier des lecteurs du Journal de l'Île de la Réunion, en page 2.
Paru le 16 avril dans le courrier des lecteurs du Journal de l'Île de la Réunion, en page 2.
/ http://www.clicanoo.re/519032-violence-mentalites-et-education.html
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