jeudi 5 août 2021

Le monde d'après et l'éternel retour du même

 Les puissants et leur médias affidés nous annoncent que rien ne sera plus jamais comme avant. Comme Napoléon lors de la campagne de Russie, ils veulent couper les ponts avec le passé afin de mieux orienter le troupeau vers l'avenir qu'ils nous ont concocté.

Ce monde d'après que la "grande réinitialisation" en cours est censée faire advenir laisse de marbre la philosophe Marylin Maeso interviewée hier sur France Inter dans le cadre de l'émission "Un monde nouveau" (ça ne s'invente pas !).

https://www.franceinter.fr/emissions/un-monde-nouveau/marylin-maeso-et-souleymane-diamanka

(l'entretien commence à 4'20'')

Spécialiste de l'oeuvre de Camus (l'auteur du fameux et tellement actuel "La Peste"), elle pointe vers l'énorme inertie de l'humain, sa tendance naturelle à la procrastination et sa capacité à se raconter des histoires ou à se bercer d'illusion avec des phrases comme "demain j'arrête !". 

Bref, le Grand Soir n'est pas pour demain, ou alors, un lent demain.

Elle évoque en fait ce que les psychosociologues appellent "la résistance aux changements" qui est la conséquence immédiate de notre nature d'"êtres d'habitudes". Chacun de nous est, en effet, un écosystème d'habitudes qui "tend à persévérer dans son être" pour parler comme Spinoza. La même chose prévaut au niveau de la société et engendre ce que Bourdieu appelait un "habitus", c'est-à-dire, une habitude sociale entretenue par le fait que les membres du groupe, s'imitant les uns les autres, entretiennent telle ou telle manière de se comporter. Au niveau de l'Histoire cette dynamique est identifiée comme "l'éternel retour du même".

Et le fait est que la majorité d'entre nous seraient soulagés et heureux de revenir au monde d'avant tant nous avons gravé en nous l'habitude d'une certaine liberté de mouvement, comme aller au restaurant, au cinéma ou tout autre spectacle quand l'envie nous en prend, sans que rien ne vienne faire entrave à notre désir.

Or c'est précisément cela que le pass sanitaire foule au pied. Il vient donc se heurter frontalement à la féroce propension de chacun à rester dans ses habitudes et toute la question est de savoir si la force de l'habitus sera suffisante pour résister à la tentative d'asservissement par la dictature sanitaire En Marche.

Marylin Maeso nous rappelle que Camus était sceptique quant aux révolutions, Il parlait des litres de sang et des quantités de souffrance et de sacrifice nécessaires pour amener des "nuances". Peut-être faudra-t-il payer ce même prix pour faire obstacle aux "nuances" totalitaires que les puissances de ce monde cherchent à nous imposer ? 

L'éternel retour du même dans l'Histoire n'est-il pas d'abord celui de la violence du conflit entre, d'une part, la volonté de puissance (affirmée par l'asservissement et la mise en esclavage) et, d'autre part, l'aspiration à la liberté ?


mercredi 23 novembre 2016

Violence, sacrifice & réconciliation, à la lumière de l'oeuvre de René Girard

Cher amis,

J'ai plaisir à vous annoncer que le samedi 3 décembre  à 16h à la médiathèque Aimé Césaire de Ste Suzanne aura lieu une conférence intitulée :

 "Violence, sacrifice & réconciliation, à la lumière de l'oeuvre de René Girard".
La présentation durera une heure environ et nous disposerons d'autant pour les questions-réponses.
A partir de l’œuvre de René Girard, je tenterai d'expliquer pourquoi... :
·         la violence est contagieuse
·         elle se trouve au fondement des sociétés humaines
·         les religions ont, de tous temps, servi à la réguler, à la contenir
·         la paix ne peut plus venir de la réconciliation violente, du sacrifice de « boucs émissaires »
·         la (post)modernité a pour horizon l’Apocalypse
·         nous avons à œuvrer à une réconciliation non violente
·         une éducation à la paix commence par une éducation à la responsabilité
En espérant votre présence,
je vous remercie de bien vouloir faire circuler ce message.
Bien à vous,
Luc-Laurent

jeudi 11 août 2016

Être responsable, voilà ce qui apporte la paix !


Nombreux sont parmi nous ceux qui, en ces temps barbares, aiment à parler de paix. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, il est aisé de retomber dans l’ornière du conflit. Leni Riefenstahl, la cinéaste d’Hitler, se défendait de l’avoir suivi en clamant, de bonne foi, qu’il parlait surtout de paix. Certains, et parfois les mêmes, nous parlent de choc des civilisations voire de guerre de religions et les derniers événements sembleraient apporter de l’eau à leur moulin. Le pape a beau dire le contraire, rien n’y fait, chacun voit midi à sa porte. Il en est même qui invoquent Jésus tout en portant accusation, sans donc avoir compris que l’accusateur est le diable, celui qui construit la division, sème la zizanie et attise le conflit.
S’il est bon de se tourner vers Jésus, ce n’est pas simplement pour faire de beaux discours, des appels vibrants à la paix, la joie et l’amour qui donnent bonne conscience tout en jetant la pierre à son voisin. En se chargeant de tous les péchés des hommes, le Christ nous a offert un modèle pour la paix qui consiste, tout au contraire, à prendre SA pierre et à la placer dans SON jardin plutôt que de la lancer dans celui du voisin. Même si cela nous crucifie, reconnaître la poutre que nous avons dans l’œil fait que la paille que nous voyons dans celui du prochain cesse de nous faire offense.
Lorsque chacun prend sa "patate chaude" au lieu de tenter de la refiler à son voisin comme un mistigri ou un roi de pique, il n’y a plus d’accusations injustes ou mensongères pour nourrir le conflit. Bien que souvent amère, la vérité peut être reconnue, le pardon devient possible et la paix s’installe alors comme par miracle.
Les récents attentats incitent au recueillement, à la tristesse mais ils appellent aussi une explication. Pourquoi ces hommes, ces femmes et ces enfants innocents sont-ils morts ? Il est ici diablement tentant de succomber au réflexe consistant à mettre en cause l’Islam puisque les auteurs des massacres s’en revendiquent. Toutefois, si nous avons le moindre souvenir du message évangélique, nous aurons l’audace de réfléchir et de nous demander s’il ne s’agirait pas de la paille et si la France n’a pas quelques poutres dans l’œil.
Se poser la question, c’est déjà y répondre. Nous ne le savons que trop : depuis des années nos gouvernants jouent avec le feu. Il est loin le temps où la sagesse d’un Chirac et d’un Villepin valait à ce dernier une ovation debout à l’ONU suite au refus français d’entrer dans une coalition criminelle contre l’Irak. Depuis qu’elle a réintégré l’OTAN, la France a été mise au service de l’empire étasunien ; elle a fait son sale boulot en Libye, au Mali, en Syrie. En quoi serait-il étonnant que la France soit à présent touchée par le terrorisme islamique comme l’Angleterre et l’Espagne au temps de leur présence en Irak ?
S’identifier aux victimes ne fait pas de nous, simples citoyens, des innocents. Ne serait-il pas temps d’être responsables et de reconnaître que notre pays fait des victimes en terre d’Islam ? Ne serait-il pas temps de demander à ce que le gouvernement soit au service de la nation et non pas d’intérêts étrangers ? Car enfin, pour quelle raison la France intervient-elle au Moyen-Orient ? Pour faire une guerre (préventive) au terrorisme ? Outre que cela n’a aucun sens du point de vue du droit international et ne peut être gobé que par des ignorants, on en voit le résultat !
Non, le fait que l’Europe, chrétienne, se trouve actuellement en crise avec la Russie, orthodoxe, et de plus en plus avec l’Islam alors que les trois ont intégré des valeurs christiques dans leurs cultures respectives n’est dans l’intérêt ni de l’Islam, ni de la Russie, ni de l’Europe. On voudrait que les deux monothéismes à vocation universelle s’entre-détruisent, on ne s’y prendrait pas autrement.
Si nous voulons la paix alors il est temps d’être responsable, il est temps d’exiger des candidats à la présidentielle qu’ils prennent position quant à une sortie définitive de l’OTAN et surtout un arrêt immédiat de la participation à des guerres criminelles et insensées menées pour un bénéfice qui n’est certainement pas le nôtre. Vendre des Rafales pour ensuite en prendre ne peut donner un solde positif, surtout si, entre-temps, on y a perdu son âme.
Bref, dénoncer la barbarie, oui, mais d’abord la sienne, plutôt que de n’avoir d’yeux que pour celle des autres. En représailles à l’attentat de Nice, Hollande a intensifié l’action militaire en Syrie : le 19 juillet, le village de Toukhan al-Kubra a été bombardé. On compte 120 victimes civiles innocentes, principalement des femmes et des enfants.


Luc-Laurent Salvador 


Article publié dans le journal de l'île le 8 août 2016, p. 2

jeudi 19 mai 2016

Violences scolaires : une révolution éducative est nécessaire !

Depuis une vingtaine d’années, en dépit de tous les rapports, plans, circulaires, réformes et « refondations », le niveau de la violence au sein des établissements scolaires croît d’une manière d’autant plus alarmante que, comme y a insisté l’anthropologue René Girard, rien n’est plus contagieux que la violence. Il semblerait que nous allions de plus en plus vite vers les extrêmes, vers l’insupportable, que la situation de Mayotte semble préfigurer.
N’y aurait-il pas, dès lors, urgence à (1) reconnaître que ce que tout ce qui a été mis en œuvre jusqu’à présent s’est révélé insuffisant ou a échoué et (2) se demander si les solutions qu’on nous propose actuellement ne seraient pas tout aussi vaines ?
Quelles qu’en soient ses modalités, le contrôle social et policier pour le bien des familles et de leurs enfants relève d’une logique sécuritaire qui fleure bon le totalitarisme et qui pourrait affaiblir encore notre fragile démocratie en infantilisant une part grandissante de la population.
C’est pourquoi, il me semble qu’avant de rechercher l’assistance des services sociaux et de la police, l’institution scolaire serait bien inspirée de se remettre en cause.
 La question se pose en effet de savoir si le manque de respect, les incivilités et la violence sont seulement le fait des élèves.  Ceux qui sont parents ne savent-ils pas tous, plus ou moins confusément, que le ton cassant, impérieux des enseignants du passé, leurs cris, leurs colères, leurs menaces, leurs brimades, leurs humiliations, leurs moqueries, leurs insultes et autres violences psychologiques (sans parler des violences physiques ou tout simplement des notes punitives) restent grosso modo d’actualité ?
Que des enseignants se sentent obligés de recourir à de telles méthodes quand ils doivent gérer tant de jeunes indifférents aux limites comme à la parole de l’adulte, on le comprend d’autant mieux qu’ils ont eu, pour la plupart, cela pour modèle au cours de leur propre scolarité et, par la suite, aucune formation sérieuse sous le rapport de l’autorité, alors même qu’une de leurs missions premières est de l’exercer et de la maintenir.
Le problème est que cette véritable guerre des générations a pour origine un quiproquo de proportions tellement gigantesques qu’il échappe au regard. En effet, il conviendrait de voir qu’en dépit de la Révolution, on n’a eu de  cesse de maintenir la jeunesse dans l’Ancien Régime au sens où l’enfant (du latin infans qui veut dire « n’a pas la parole ») est censé être assujetti à l’adulte et non pas « sujet. » Or, au cours du siècle dernier, grâce notamment à la pub, une révolution silencieuse a eu lieu : on a laissé les jeunes prendre la parole et... le pouvoir !  De sorte que les parents amènent à l’école des « sujets » en « toute-puissance » quasi sourds à la volonté adulte. A ces révolutionnaires qui s’ignorent mais réclament à juste titre le respect de leur personne, allons-nous envoyer la police ou saisirons-nous enfin l’occasion de leur proposer une éducation véritablement démocratique, c’est-à-dire, respectueuse, structurante et formatrice ? Bref, allons-nous enfin accomplir la Révolution dans sa dimension éducative ?
Il n'y aurait rien là de compliqué a priori puisque tout le monde connaît les principes démocratiques mais imaginez quel bouleversement ce serait : (a) des règles de classe, de cour, de cantine et d’établissement explicites, justes, proportionnées et consensuelles car adoptées après des débats et des décisions impliquant tous les élèves, (b) des sanctions positives et négatives pareillement conçues et qui, bien sûr, excluraient définitivement l’affreux répertoire (listé plus haut) du tyran éclairé que trop d’enseignants s’autorisent encore à divers degrés et, enfin, (c) des activités choisies par les élèves et non pas imposées en fonction des programmes par celui qu’on appelle encore le « maître. »
Cela fait plus d’un siècle que les Pédagogies Nouvelles ont ouvert la voie d’une éducation respectueuse du jeune mais elles ont été reléguées à la marge. Une éducation démocratique permettrait à peu de frais d’en généraliser l’esprit et de contribuer ainsi à la réussite de tous les élèves ainsi qu’à une véritable formation citoyenne dont la nation a grand besoin.
Qu’attend-on pour y venir : que les enseignants désertent une profession impossible ? Que les cours d’écoles, qui ont toujours été plus ou moins des zones de non droit, deviennent de vraies cours des miracles ? Que les élèves en ressortent à des logiques tribales pour se sentir protégés — alors qu'il s'agit là du premier devoir de l’autorité ?
Quoi qu’il en soit, les jeunes ayant fait leur révolution, nous n’avons plus le choix : l’éducation publique sera démocratique ou ne sera pas.

Luc-Laurent Salvador pour l’association EDUCAPSY



Heureux celui qui a pu connaître les causes des choses

Voici ma réponse à Alain Fourmaintraux (voir post précédent) publiée dans le Quotidien le 13 mai 2016, p.?
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Alain Fourmaintraux a raison, on aurait tort de ne pas chercher les causes (voir son courrier au Quotidien du 6/5).
     La citation de Virgile qui sert ici de titre en témoigne, les humains cherchent les causes depuis la nuit des temps. Le religieux a été leur premier système explicatif. Les « mauvais esprits » étaient alors la cause de leurs malheurs et les sorciers étaient chargés de traiter avec eux. A présent que la science a pris le relais sinon la place du religieux, le désir de connaître, donc de maîtriser, reste inchangé.
    Les médecins agitent devant nous des causes biologiques et le cerveau est porté au pinacle comme s’il était l’Alpha et l’Omega, c’est-à-dire, la cause première de l’activité mentale. Au point que certains croient qu’« on ne peut plus prétendre connaître l’esprit humain sans connaître le cerveau. » Nous sommes tellement acquis à cette vieille idéologie réductionniste du XIXe que nous manquons de voir l’évidence qui est que ce n’est pas le cerveau qui pense, mais le corps dans sa totalité, dans son intégrité. Les esprits que nous sommes sont incarnés ou incorporés et non pas « incérébrés ». A preuve : prenez un cerveau humain, mettez-le sous perfusion dans un bocal, vous êtes sûr qu’il n’y a plus personne dedans, au mieux une activité neurale anarchique.
     A quoi nous sert-il de savoir que telle fonction mentale est localisée ici ou là dans le cerveau alors que la principale caractéristique de ce dernier est d’être plastique, c’est-à-dire, malléable, soumis, effet et pas seulement cause de l’activité mentale ? Lorsque qu’une zone cérébrale est détruite (par un traumatisme, un AVC, etc.), la fonction mentale correspondante pourra s’installer ailleurs à la faveur d’un entraînement plus ou moins intensif. Le cerveau est donc très exactement « ce qu’on en fait » au sens où c’est l’exercice de nos facultés mentales qui progressivement le transforme.
      C’est l’activité — cette totalité qui implique le corps et l’esprit — qui façonne le cerveau. Nous n’avons pas actuellement d’autre moyen efficace, sain et sûr d’intervenir sur le cerveau. En dépit de ce dont voudraient nous convaincre des médecins soumis au lobbying de Big Pharma, on ne règle rien avec des drogues et des médicaments psychotropes. Le véritable travail est accompli par le sujet lui-même, par son activité d’élève ou de patient, sous la houlette d’un éducateur qui l’aide à réussir des exercices judicieusement choisis pour être à sa portée. Cet éducateur (enseignant, orthophoniste, psychomotricien, kiné etc.) est un « entraîneur » qui a seulement besoin de connaître les fonctions mentales et physiques mises en jeu dans l’activité proposée.
     Bref, que le cerveau reste dans sa boîte et se contente d’être ce que nos habitudes font de lui ! Quant à nous, humains, êtres doués de psychologie, attachons-nous à construire de bonnes habitudes et à réparer par des exercices adaptés ce qui fonctionne mal puisque, comme le dit si bien Michel Serres, « rien ne résiste à l’entraînement. »

Luc-Laurent Salvador pour l’association EDUCAPSY

mercredi 18 mai 2016

On aurait tort de ne pas chercher les causes

       Voici la réponse d'Alain Fourmaintraux à mon précédent billet (publiée le 6 mai dans le courrier des lecteurs du journal Le Quotidien)
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      Monsieur Salvador, pourquoi craindre une approche médicale des troubles psychologiques (votre courrier des lecteurs dans Le Quotidien du 4 mai) ? Le fonctionnement de la «Psychée» est un fonctionnement cérébral, donc biologique puisque le cerveau est un organe biologique. On ne peut faire de la psychologie hors cerveau comme on fait de l'administration hors sol. Il faut garder les pieds sur terre. Et, comme le cerveau peut être atteint de «dysfonctionnements », il n'est pas étrange que l'on appelle la médecine à son chevet, quand celle-ci a des connaissances sur le sujet, cela va de soi.
       Or les neurosciences progressent. En cela elles suivent l'exhortation socratique du « connais-toi toi-même » et l'on ne peut plus prétendre connaître l'esprit humain sans connaître le cerveau humain. Donc, il n'y a pas de raison pragmatique à refuser le secours de la médecine dans les difficultés d'apprentissage scolaire. Tous les échecs scolaires n'ont pas d'explications biologiques connues, c'est certain, mais on aurait tort de ne pas les chercher, systématiquement.
      Le Défenseur des Droits, dans son dernier rapport, dénonce à juste titre le refus de chercher et de partager les diagnostics médicaux des handicaps de certains enfants, refus qui les rend «invisibles» et empêche leur inclusion scolaire. Il est souvent trop facile de considérer les enfants inadaptés à l'enseignement comme seulement des cas sociaux qui relèverait de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). Le Défenseur des Droits dénonce aussi cette trop fréquente fausse route, grande cause d'échec d'inclusion. Cette démarche pragmatique a par ailleurs l'extrême avantage de définir une cause objective, quand elle la trouve, et de soulager les enfants et leurs familles du poids de la culpabilité.
       Je vous propose un cas d'école: l'alcoolisation foetale. (On pourrait évoquer d'autres agents tératogènes que l'alcool: certains virus, le valproate, les pesticides et d'autres connus ou inconnus, mals que l'on peut prévoir, tant le développement cérébral du foetus est fragile.) Les enfants atteints de troubles causés par l'alcoolisation foetale (TCAF) peuvent présenter des signes très variables: déficit de la mémoire de travail, déficit  des fonctions exécutives, déficit  de l'empathie, intolérance au  bruit, hyperactivité-inattention,  autisme et, puisque vous évoquez  les « dys », dyscalculie, dyslexie,  dysgraphie, dysphasie... Chaque « domaine fonctionnel» doit s être considéré, mesuré et pris en charge, précocement, car de ces atteintes primaires découleront des troubles secondaires: échec scolaire, exclusion sociale, délinquance, clochardisation... Or, très souvent, la pathologie des TCAF, car c'en est une, a été invisible de la maternelle au collège. L'incidence du syndrome d'alcoolisation foetale est au minimum de 1% des naissances, mais sans doute beaucoup plus puisqu'un tiers voire la moitié des femmes enceintes boivent de l'alcool pendant leur grossesse. LesTCAF sont donc une part non négligeable des échecs scolaires. Il faut donc les chercher, comme il faut chercher toutes les causes médicales, innées et acquises ; c'est la seule façon rationnelle de connaître la partie médicale des causes des échecs scolaires.
Alain Fourmaintraux 



Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

Le 4 mai dernier, le journal Le Quotidien a publié mon "courrier des lecteurs" sur la dyslexie et autres dys qui faisait écho à la conférence de Léonard Vannetzel organisée par la MAIF.
Malheureusement le texte, un peu long, a été coupé de sorte qu'il m'a semblé inintelligible.
Le voici dans sa version intégrale.

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Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

La MAIF a récemment invité à l’Université de la Réunion Léonard Vannetzel, psychologue et rédacteur en chef d’ANAE, une revue de neuropsychologie de l’apprentissage. Il a traité en expert de « La galaxie des dys » face à un public avide constitué principalement d’enseignants. Le sujet, complexe s’il en est, reste très sensible pour de multiples raisons mais je vais tenter ici d’en évoquer une, particulièrement importante et que le titre rend assez explicite, je crois.
Sans doute faut-il préciser que, dès mon entrée dans la profession de psychologue de l’Education Nationale, j’ai été mis en garde au sujet de l’emprise grandissante du médical sur le domaine scolaire, notamment sous le rapport des apprentissages.
Cet avertissement n’a jamais cessé de se vérifier. « L’éducation spéciale » se décide dorénavant dans les Maisons de la Personne Handicapée et les troubles médicaux envahissent proprement l’espace scolaire au point que la moindre difficulté d’apprentissage semble devoir relever de quelque « dys » et autres troubles quand il ne s’agit pas de précocité. Autant dire que les psychologues de l’Education Nationale ne savent plus où donner de la tête étant donné que leur bilan, en particulier, psychométrique, est systématiquement exigé pour la constitution des dossiers. La chose relève d’une logique qu’il ne s’agit pas de contester dans son ensemble mais on peut néanmoins se demander si elle n’amènerait pas quelques effets pervers notamment en ce qui concerne la « galaxie des dys ».
Les diagnostics en « dys » ne concernent, en effet, que les élèves dont on a pu s’assurer qu’ils ne présentaient pas de déficience intellectuelle. A première vue, la chose paraît logique car on ne peut invoquer une cause biologique (un trouble) si, par ailleurs, une cause psychologique (une déficience intellectuelle) est déjà présente et suffit à expliquer les difficultés rencontrées. Comme disaient les philosophes du Moyen-âge, il convient de « ne pas multiplier les êtres sans nécessité. » Ainsi, pour un élève « faible lecteur » qui présenterait une déficience intellectuelle, l’explication parcimonieuse des difficultés d’apprentissage de la lecture consiste à retenir la cause psychologique avérée (la déficience) et à écarter l’hypothèse biologique qui devient superflue.
Bien que régulièrement employée par des générations de chercheurs, cette heuristique peut être prise en défaut. Elle a été réfutée dans le cas de la dyslexie et il se pourrait que d’autres « dys » soient concernées. Dans un livre en anglais récent d’Elliott & Grigorenko (2014) intitulé « Dyslexie : le débat » il est montré, sur la base de deux décennies de travaux anglosaxons, que pour la grande majorité des « faibles lecteurs », les difficultés d’apprentissage de la lecture proviendraient d’une incapacité de traitement phonologique de bas niveau d’origine neurologique. Le seul traitement efficace de ce trouble consisterait en un entraînement spécifique par un personnel formé à cet effet. La cause biologique étant identifiée il n’y aurait, en toute logique, qu’à mettre en œuvre le traitement correspondant pour TOUS les « faibles lecteurs » en déficit phonologique. Sauf que ce serait trop simple ! Observons, en effet, que l’efficience intellectuelle n’entre pas ici en ligne de compte. Or, la logique institutionnelle est basée sur une définition de la dyslexie restreinte aux élèves à l’intelligence « normale. » Ainsi, au lieu de tous bénéficier du même traitement dont ils ont tous pareillement besoin, les « faibles lecteurs » se voient séparés en deux groupes : d’une part, (a) les dyslexiques (faibles lecteurs à l’intelligence normale) et, d’autre part, (b) les déficients intellectuels présentant des difficultés de lecture. Force est alors de se demander s’il n’y aurait pas là une pratique de nature discriminatoire dans la mesure où ces derniers ne peuvent plus bénéficier des moyens importants mis à la disposition des premiers. Par exemple, il existe des établissements de soin comme le CMPP de Sainte Suzanne qui prennent seulement en charge les élèves relevant des « dys », de sorte que ceux souffrants parfois de graves difficultés d’apprentissage mais présentant une déficience intellectuelle même légère n’ont pas accès aux soins proposés.
Qu’est-ce qui — au moins pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture — justifie cette différence de traitement alors que, il faut y insister, une foule de travaux ont montré qu’elles relèvent le plus souvent de troubles phonologiques bien identifiés et nécessitent par conséquent le même traitement de base, que l’on soit normalement intelligent ou pas ?
On doit d’autant plus se poser la question que, ainsi qu’Elliott & Grigorenko le soulignent, la démarche consistant à bilanter psychologiquement tous les faibles lecteurs pour opérer ce « tri » est longue et extrêmement coûteuse pour la société alors que quelques tests de lecture rapidement passés permettent d’identifier les besoins.
On me dira qu’il est toujours avantageux de disposer d’un bilan psychologique puisqu’on est alors beaucoup mieux renseigné sur les fragilités et les points forts de l’élève auquel on s’adresse. C’est peu contestable a priori sauf qu’il s’agit seulement d’un bénéfice et pas de la raison première pour laquelle le bilan est réalisé. Celle-ci devrait être questionnée car si le bilan psychométrique contribue à ce qui pourrait apparaître au final comme une discrimination médico-sociale, cela pose problème.
Le code de déontologie des psychologues leur fait obligation d’informer les personnes concernées des « objectifs, modalités et limites » de leur intervention mais pas des possibles conséquences d’une évaluation, même de nature à engendrer une discrimination par l’intelligence. Peut-être serait-il temps de prendre en compte cet aspect car, au moins pour la dyslexie (et probablement aussi pour la dyscalculie selon Léonard Vannetzel) les données scientifiques actuelles contestent la logique institutionnelle. Ne serait-ce pas manquer à l’éthique professionnelle que de continuer de collaborer à cette dernière sans s’assurer de son bien-fondé au regard des études récentes ?
Quoi qu’il en soit, il est clair que les personnels de soin en général, les psychologues en particulier, font individuellement de leur mieux pour pallier aux défauts de cette logique institutionnelle qui seule peut (et doit) être mise en cause. Il y a là, je crois, matière à une réflexion urgente car ajouter la discrimination au handicap n’est plus tolérable dans nos sociétés supposément avancées.