Le hasard a voulu qu’en assistant à la première conférence d’une série consacrée au suicide (« googlez » : suicide + agenda + odayen) j’apprenne que mon meilleur élève de l’an passé s’est suicidé. Sa veuve est, en effet, venue témoigner de son désarroi et de celui de ses enfants. Elle n’a pas dit son nom mais je l’ai immédiatement reconnu. Il préparait alors le concours de professeur des écoles après un « burn-out » dans le secteur bancaire.
Brillant comme il l’était, j’avoue que je n’ai pas vu venir le
désastre. Mais pour avoir fréquenté l’Education Nationale durant des
décennies, notamment en tant que psychologue et formateur, je ne sais
que trop bien ce qui lui est arrivé. Il a vécu le « reality shock » de
l’enseignant débutant qui arrive à l’école la tête plein d’idéaux et qui
se trouve plongé dans une situation marécageuse et terriblement
anxiogène. Car c’est dans le contexte d’une classe qui n’est pas la
leur, avec une formation partielle trop théorique et un soutien quasi
inexistant que les professeurs d’école stagiaires font leur premiers pas
dans le métier, avec la hantise d’une évaluation aux critères nébuleux.
Pour une personne intelligente, sensible et consciencieuse, risquer
ainsi son identité professionnelle et personnelle dans des conditions où
dominent l’approximatif et donc, jusqu’à un certain point,
l’arbitraire, ce n’est pas une épreuve, c’est une ordalie. On voudrait
rendre quelqu’un paranoïaque ou dépressif, on ne s’y prendrait pas
autrement. Il est clair qu’il vaut mieux être jeune pour supporter cette
épouvantable « montée au front » de l’éducation. La moindre fragilité
narcissique y devient un handicap. Le Dr Paratian suggérait d’ailleurs
que 50 % des enseignants seraient dépressifs.
Les statistiques ne
sont pas connues mais on peut penser que tous les professeurs d’école
stagiaires souffrent ; certains craquent, se mettent en longue maladie,
démissionnent... ou se suicident.
Il serait temps que l’Education
Nationale et ses syndicats se saisissent de ce problème pour offrir des
conditions sécurisantes aux stagiaires. On ne peut laisser une telle
casse se poursuivre indéfiniment. Je ne dis pas que c’est la solution
mais si les psychologues de l’Education Nationale avaient des secteurs
moins démesurés, ils pourraient accompagner et/ou coacher les nouveaux
venus bien mieux que ne peuvent le faire des « tuteurs » blanchis sous
le harnais pédagogique mais souvent incompétents en relations humaines.
Ils pourraient ainsi éviter que certains ne croient avoir d’autre issue
que le suicide.
Luc-Laurent SALVADOR, pour l’association EDUCAPSY
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