jeudi 17 mars 2016

Au secours des nouveaux enseignants

Article paru au courrier des lecteurs du journal Le Quotidien le 06/02/2016. Le titre original proposé était "Suicide dans l'Education Nationale". La rédaction du journal l'a changé (en mieux je crois) et a ajouté la photo ci-dessous.


     Le hasard a voulu qu’en assistant à la première conférence d’une série consacrée au suicide (« googlez » : suicide + agenda + odayen) j’apprenne que mon meilleur élève de l’an passé s’est suicidé. Sa veuve est, en effet, venue témoigner de son désarroi et de celui de ses enfants. Elle n’a pas dit son nom mais je l’ai immédiatement reconnu. Il préparait alors le concours de professeur des écoles après un « burn-out » dans le secteur bancaire.
     Brillant comme il l’était, j’avoue que je n’ai pas vu venir le désastre. Mais pour avoir fréquenté l’Education Nationale durant des décennies, notamment en tant que psychologue et formateur, je ne sais que trop bien ce qui lui est arrivé. Il a vécu le « reality shock » de l’enseignant débutant qui arrive à l’école la tête plein d’idéaux et qui se trouve plongé dans une situation marécageuse et terriblement anxiogène. Car c’est dans le contexte d’une classe qui n’est pas la leur, avec une formation partielle trop théorique et un soutien quasi inexistant que les professeurs d’école stagiaires font leur premiers pas dans le métier, avec la hantise d’une évaluation aux critères nébuleux.
    Pour une personne intelligente, sensible et consciencieuse, risquer ainsi son identité professionnelle et personnelle dans des conditions où dominent l’approximatif et donc, jusqu’à un certain point, l’arbitraire, ce n’est pas une épreuve, c’est une ordalie. On voudrait rendre quelqu’un paranoïaque ou dépressif, on ne s’y prendrait pas autrement. Il est clair qu’il vaut mieux être jeune pour supporter cette épouvantable « montée au front » de l’éducation. La moindre fragilité narcissique y devient un handicap. Le Dr Paratian suggérait d’ailleurs que 50 % des enseignants seraient dépressifs.
    Les statistiques ne sont pas connues mais on peut penser que tous les professeurs d’école stagiaires souffrent ; certains craquent, se mettent en longue maladie, démissionnent... ou se suicident.
    Il serait temps que l’Education Nationale et ses syndicats se saisissent de ce problème pour offrir des conditions sécurisantes aux stagiaires. On ne peut laisser une telle casse se poursuivre indéfiniment. Je ne dis pas que c’est la solution mais si les psychologues de l’Education Nationale avaient des secteurs moins démesurés, ils pourraient accompagner et/ou coacher les nouveaux venus bien mieux que ne peuvent le faire des « tuteurs » blanchis sous le harnais pédagogique mais souvent incompétents en relations humaines. Ils pourraient ainsi éviter que certains ne croient avoir d’autre issue que le suicide.

Luc-Laurent SALVADOR, pour l’association EDUCAPSY 

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