jeudi 17 mars 2016

Alcool & autres drogues chez les jeunes : la prévention ne doit pas se tromper de cible

Article paru dans la section Forum (p. 20) du Journal de l'Ile de la Réunion (JIR) le 17/03/2016. Il est aussi accessible en ligne dans le courrier des lecteurs du jour.

Le pédopsychiatre Daniel Bailly, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste du comportement des adolescents, est venu à la Réunion à l’occasion du récent colloque régional de la FRAR « Pour un usage modéré et responsable de l’alcool. Quelles solutions pour La Réunion ? » Invité à la radio Réunion 1ère, il a livré une interview d’une rare lucidité et complètement à rebours de nos idées reçues concernant la prévention de la consommation de drogues chez les jeunes. Comme nous sommes tous concernés et que son propos devrait, je crois, être entendu par un maximum de personnes, voici l’essentiel de l’entretien réalisé par Karl Sivatte :

  • Faut-il privilégier l’éducation à la prévention ?

Oui, mais il faut savoir ce que c’est que la prévention. Or, la prévention c’est : il faut oublier le produit ! La prévention ne doit pas cibler le produit, la prévention doit cibler le sujet. Le problème de l’abus, de la dépendance, de l’ivresse, ce n’est pas le problème de l’alcool, c’est le problème du sujet et de savoir comment ce sujet va utiliser le produit. Tant qu’on focalisera la prévention sur les produits, on se trompera de cible.
La prévention, c’est un état d’esprit, c’est un problème d’éducation. C’est apprendre à nos enfants à devenir des adultes autonomes, responsables, avec un esprit critique, d’être capable de résister aux pressions sociales, d’être capable d’analyser les informations qu’on leur donne et de savoir, eux, quelles sont les valeurs qu’ils veulent défendre dans ce monde. C’est ça le problème de la prévention et tant qu’on va focaliser sur le produit, tant qu’on fera des actions ponctuelles comme ça, on se trompera et on aura aucune efficacité.

  • Est-ce qu’il faut ne pas hésiter à se tourner vers des professionnels, des techniciens ?

Oh ce n’est pas les professionnels, le problème de la prévention, c’est le problème des parents et le problème des enseignants. Les enfants, leurs attitudes et leurs comportements sont déterminés par ceux qui s’occupent d’eux. Ce n’est pas le professionnel dans son bureau à l’hôpital qui s’occupe des enfants, c’est les parents et les enseignants.
On sait que les programmes qui marchent le mieux, ce sont les programmes qui démarrent précocement, dès l’école primaire, qui sont intégrés au cursus scolaire, et dans lesquels on va aider les enfants à développer ce qu’on appelle les compétences psychosociales. Par exemple s’affirmer, par exemple les relations interpersonnelles, comment résoudre les problèmes, comment s’intégrer dans la communauté, comment gérer son stress, c’est ça qui marche et ce n’est pas du tout en focalisant sur l’alcool ou sur la drogue. Donc ces programmes doivent être pérennes, c’est-à-dire que ça doit être intégré dans le cursus. Ça veut dire aussi que l’Education Nationale doit se poser une question : quelle est sa mission, est-ce que sa mission c’est de transmettre des connaissances ou est-ce que sa mission c’est de faire des enfants, des adultes par la suite, des adultes responsables ? Et tant qu’on ne se posera pas cette question-là je crois qu’on tournera en rond et qu’on ne s’en sortira pas.

  • La peur du « qu’en dira-t-on ? » : comment aider les familles ?

Ça, c’est un autre problème, c’est-à-dire, que la prévention c’est en amont. Quand un problème survient, là c’est pareil, on me demande toujours quels sont les signes qui doivent alerter quand un sujet consomme du cannabis, de l’alcool. Ces signes n’ont rien à voir avec l’alcool et le cannabis. Un adolescent qui va commencer à consommer abusivement, c’est un adolescent qui va mal. Ce n’est pas l’alcool qui fait l’alcoolique, c’est le sujet qui fait que l’alcool devient un problème pour lui. Or ça aussi c’est repérable très précocement. C’est-à-dire qu’on sait qu’un enfant qui va présenter des troubles anxieux, des troubles dépressifs a deux fois plus de risques qu’un autre de développer par la suite des comportements d’abus. On sait qu’un enfant hyperactif est un enfant à risque. On connaît tout ça. Ça veut dire que très précocement il faut savoir repérer les enfants qui sont en difficulté, en souffrance, et les aider à surmonter ces difficultés. Mais ça n’a rien à voir avec l’alcool et les drogues.

  • Les clés alors pour ce genre de situation ?

Les clés ? Je crois qu’il faut être attentif à nos enfants. Je crois qu’il faut se poser la question des valeurs qu’on veut leur transmettre, du monde qu’on veut leur léguer, et la question de ce qu’on veut donner à la société pour améliorer l’éducation de nos enfants. Je crois que c’est ces questions-là qui sont essentielles. Ce n’est pas la question de la publicité, ce n’est pas la question des distributeurs ou des producteurs d’alcool, ça n’a rien à voir. C’est vraiment des questions politiques ; mais politique au sens noble, c’est-à-dire, politique personnelle, c’est à nous de réfléchir sur ce qu’on est prêt à faire et ne pas faire pour nos enfants.

  • La première « sortie », comment l’appréhender quand on se pose des questions ?

C’est logique, quand vous êtes un jeune il faut quand même que vous fassiez des choses que les parents n’ont pas faites et il faut quand même que vous expérimentiez les choses. Il y a toujours une première fois. Alors, il faut savoir que quand on regarde l’évolution de la consommation, autant les enfants consomment à la maison, autant à l’adolescence les comportements changent parce que les adolescents ont besoin de se démarquer des valeurs qui les ont guidés qui sont essentiellement les valeurs parentales et ils vont s’appuyer sur le groupe des copains pour pouvoir continuer à progresser et il y a toute une période où c’est le groupe des pairs qui est le plus important.
Alors les parents nous disent souvent « s’il va mal ou s’il consomme trop c’est la faute des copains ». Ce n’est pas vrai. On sait que les adolescents choisissent le groupe en fonction de ce qu’ils sont. Et les adolescents à risque vont choisir préférentiellement des copains déviants. Et il faut bien que tout ça s’expérimente entre groupes. [Pour] un adolescent le groupe c’est important, ça lui permet d’appréhender les questions qu’il se pose de manière relativement sereine parce qu’il sait que c’est partagé avec ses pairs. Et à cette période-là, les pairs, ils sont très importants.
Mais je crois qu’il faut rassurer les parents. La majorité des adolescents vont bien, on focalise tout sur les adolescents, mais ils vont même mieux que la majorité des adultes. Alors peut-être qu’il faudrait se poser des questions sur notre santé à nous et arrêter de tout focaliser sur les adolescents.

  • Le premier cas d’ivresse : comment réagir ?

Une première ivresse à 16, 17 ans, partagée entre copains, ce n’est pas grave. On sait que ceux qui vont devenir des consommateurs abusifs ou dépendants, leur première ivresse ce n’est pas 16 ans, 17 ans, c’est avant 12 ans. Et c’est ceux-là qu’il faut repérer. C’est logique de faire la fête entre copains. C’est logique de transgresser quand on est adolescent. Et heureusement, s’il n’y avait pas ça, ils ne seraient pas des adolescents. Le problème c’est comment notre société peut encadrer ces choses-là pour que ça n’ait pas de conséquences dommageables. C’est-à-dire, qu’il faut qu’il y ait à la fois un regard tolérant et l’idée que, au fond, notre rôle ce n’est pas de dire ce qui est bien et ce qui est mal. Notre rôle c’est d’être un guide et un guide c’est un filet de sécurité. C’est-à-dire, comment faire [pour] que nos adolescents puissent expérimenter ce qu’ils doivent expérimenter pour devenir adultes mais de telle façon que, si jamais ça dérape, ils aient les moyens de rebondir et qu’on puisse les aider à rebondir, c’est ça le seul problème.

  • Le dialogue reste fondamental dans cette période ?

Alors plus que le dialogue c’est de savoir mettre en accord acte et parole. Je crois que c’est notre exemplarité qui va faire que nos enfants changent. On ne peut pas dire à un enfant que l’alcool est mauvais et tous les soirs en rentrant du travail s’attabler pour éviter d’être confronté aux récriminations de son épouse en buvant un verre de whisky ou de rhum. Ce n’est pas possible quoi ! Il faut bien comprendre que les enfants très tôt sont confrontés aux attitudes et aux comportements de leurs parents vis-à-vis de l’alcool et des produits et c’est ça qui va déterminer les choses. Si un enfant précocement perçoit que ce produit est utilisé par ses parents pour régler les problèmes de la vie quotidienne, pour faire en sorte qu’on ne parle de rien et que tout va bien, oui cet enfant-là il aura de grande chance d’intégrer ce comportement-là dans son répertoire relationnel par la suite.

  • Un conseil à partager à la fois avec les jeunes et les parents ?

Alors, aux jeunes c’est de leur dire que quand ils sont en difficulté ou quand ils ont l’impression que quelque chose n’est pas normal ou ne va pas, qu’ils en parlent. C’est important parce qu’on s’aperçoit que les jeunes qui prennent un parcours vers l’abus et la dépendance, ce sont souvent des jeunes qui ont émis des signes de souffrance et qui n’ont pas été entendus. Donc il ne faut pas hésiter qu’ils en parlent et aux adultes je leur dirais mais « soyez des adultes responsables », c’est-à-dire, des adultes attentifs, disponibles et n’ayez pas peur de montrer qui vous êtes, parce qu’il n’y a rien de pire que de tricher avec un enfant.


Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY

Au secours des nouveaux enseignants

Article paru au courrier des lecteurs du journal Le Quotidien le 06/02/2016. Le titre original proposé était "Suicide dans l'Education Nationale". La rédaction du journal l'a changé (en mieux je crois) et a ajouté la photo ci-dessous.


     Le hasard a voulu qu’en assistant à la première conférence d’une série consacrée au suicide (« googlez » : suicide + agenda + odayen) j’apprenne que mon meilleur élève de l’an passé s’est suicidé. Sa veuve est, en effet, venue témoigner de son désarroi et de celui de ses enfants. Elle n’a pas dit son nom mais je l’ai immédiatement reconnu. Il préparait alors le concours de professeur des écoles après un « burn-out » dans le secteur bancaire.
     Brillant comme il l’était, j’avoue que je n’ai pas vu venir le désastre. Mais pour avoir fréquenté l’Education Nationale durant des décennies, notamment en tant que psychologue et formateur, je ne sais que trop bien ce qui lui est arrivé. Il a vécu le « reality shock » de l’enseignant débutant qui arrive à l’école la tête plein d’idéaux et qui se trouve plongé dans une situation marécageuse et terriblement anxiogène. Car c’est dans le contexte d’une classe qui n’est pas la leur, avec une formation partielle trop théorique et un soutien quasi inexistant que les professeurs d’école stagiaires font leur premiers pas dans le métier, avec la hantise d’une évaluation aux critères nébuleux.
    Pour une personne intelligente, sensible et consciencieuse, risquer ainsi son identité professionnelle et personnelle dans des conditions où dominent l’approximatif et donc, jusqu’à un certain point, l’arbitraire, ce n’est pas une épreuve, c’est une ordalie. On voudrait rendre quelqu’un paranoïaque ou dépressif, on ne s’y prendrait pas autrement. Il est clair qu’il vaut mieux être jeune pour supporter cette épouvantable « montée au front » de l’éducation. La moindre fragilité narcissique y devient un handicap. Le Dr Paratian suggérait d’ailleurs que 50 % des enseignants seraient dépressifs.
    Les statistiques ne sont pas connues mais on peut penser que tous les professeurs d’école stagiaires souffrent ; certains craquent, se mettent en longue maladie, démissionnent... ou se suicident.
    Il serait temps que l’Education Nationale et ses syndicats se saisissent de ce problème pour offrir des conditions sécurisantes aux stagiaires. On ne peut laisser une telle casse se poursuivre indéfiniment. Je ne dis pas que c’est la solution mais si les psychologues de l’Education Nationale avaient des secteurs moins démesurés, ils pourraient accompagner et/ou coacher les nouveaux venus bien mieux que ne peuvent le faire des « tuteurs » blanchis sous le harnais pédagogique mais souvent incompétents en relations humaines. Ils pourraient ainsi éviter que certains ne croient avoir d’autre issue que le suicide.

Luc-Laurent SALVADOR, pour l’association EDUCAPSY 

Prévenir l’embrigadement terroriste par l’éducation

Article proposé à divers journaux nationaux (30/12/2015) ainsi qu'au courrier des lecteurs des deux éditions locales de la Réunion (21/01/2015), tout cela sans succès.

Le phénomène de société que constitue par son ampleur et ses formes l’embrigadement djihadiste est-il lié à la nature ou à l’histoire de l’islam ? Opère-t-il une radicalisation inhérente à la notion de djihad ou doit-on plutôt y voir, comme le suggère Olivier Roy dans un excellent article du Monde daté du 24 novembre, la conséquence d’un besoin individuel de radicalité qui s’alimente à un storytelling djihadiste de circonstance ?

Le texte d’Olivier Roy balaye les innombrables explications mettant en cause les religions en général, l’islam en particulier, en rappelant les faits suivants :
  1. De tous temps des jeunes en sont venus à se rallier à des causes pour lesquelles ils étaient prêts à tuer comme à sacrifier leurs vies :
« Le ralliement de ces jeunes à Daech est opportuniste : hier, ils étaient avec Al-Qaida, avant-hier (1995), ils se faisaient sous-traitants du GIA algérien ou pratiquaient, de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par la Tchétchénie, leur petit nomadisme du djihad individuel (comme le « gang de Roubaix »). Et demain, ils se battront sous une autre bannière, à moins que la mort en action, l’âge ou la désillusion ne vident leurs rangs comme ce fut le cas de l’ultragauche des années 1970. »
Daesh s’inscrit donc dans un ensemble d’organisations idéologiques religieuses ou athées qui, tout au long de l’histoire, ont offert l’occasion à des individus de se radicaliser jusqu’à envisager des actions terroristes, éventuellement suicidaires. Quelque discutable qu’elle soit par ailleurs, la nature islamique proclamée de Daesh est donc ici d’emblée écartée du statut de cause explicative de l’embrigadement djihadiste actuel. Daesh est tout au plus une circonstance, une offre qui rencontre une demande. Reste à savoir laquelle.
  1. La même logique s’applique à la « souffrance postcoloniale ». S’il y avait là une cause structurelle de l’embrigadement djihadiste pourquoi seule une infime part des personnes concernées se trouveraient-elles affectées ? A l’exception de quelques provocateurs chacun peut constater l’existence d’un « consensus fort » des musulmans de France et/ou des anciens colonisés pour vivre en paix hors de tout ressentiment victimaire. De fait, comme le souligne Olivier Roy, les recrues du djihadisme se trouvent en marge des communautés musulmanes et n’ont « presque jamais un passé de piété et de pratique religieuse, au contraire. »
  2. Ceci est d’autant plus vrai qu’une bonne part d’entre eux sont des « convertis de souche », qui plus est, souvent originaires des campagnes françaises et donc passablement isolés des communautés musulmanes.
Les causes du phénomène d’embrigadement djihadiste ne pouvant, en toute logique, être attribuées à ces facteurs situationnels communs que sont l’islam ou la colonisation, il convient alors de les rechercher parmi les dispositions communes aux sujets concernés.
Or, là, pas d’hésitation, nous disposons d’un invariant trop évident et trop significatif pour être ignoré : la catégorie d’âge des candidats au djihad.
Ainsi que divers spécialistes y insistent (cf. Dounia Bouzar, Fethi Benslama, etc.), il s’agit de jeunes qui se situent pour la plupart entre 15 et 25 ans. Ce constat élémentaire mène droit à la problématique délicate du processus de (re)construction identitaire ou subjective propre à l’adolescence et marqué par une forme de rupture avec le monde des parents. Le passage de l’enfance à l’âge adulte suppose en effet un changement de régime relationnel et/ou intersubjectif qui peut considérablement fragiliser un individu même bien inséré.
Il va de soi que seront surtout concernés ceux qui, étant issus d’un milieu familial peu nourricier, peinent à s’affirmer, c’est-à-dire, à être reconnus pour leurs qualités et leurs accomplissements par l’entourage social correspondant à leurs aspirations. L’adolescent en filiation échouée qui n’a pas une bonne image de ses parents et n’acquiert pas une bonne image de lui-même dans le « miroir social » de pairs parfois inexistants aura une plus grande appétence et sera donc moins regardant vis-à-vis de ce qui s’offre à lui, notamment sur internet, pour alimenter son besoin identitaire sous la forme — caractéristique de cet âge — premièrement, d’une affiliation qui le valide dans son être et, deuxièmement, d’une « fable personnelle » lui permettant de se voir comme unique, omnipotent, invulnérable avec un destin particulier, voire une mission.
Mais ce vif besoin d’un devenir héroïque, permet aussi de comprendre que même les adolescents qui semblent réussir, tant d’un point de vue social que scolaire, puissent prêter l’oreille aux sirènes du djihadisme. Un être sensible, intelligent et idéaliste qui observe le monde actuel sans a priori constatera immanquablement sa profonde corruption et pourrait alors prêter l’oreille à des discours de rupture, même ceux sollicitant un engagement total pour contribuer à l’avènement d’un monde de vérité et de justice. N’offrent-ils pas une occasion, somme toute, inespérée de s’affirmer et même de s’accomplir d’une manière encore perçue comme la plus noble : par le sacrifice de soi ?
Bref, dans le contexte actuel, le tableau de l’adolescence laisse bel et bien à penser que la fragilisation du soi qui le caractérise pourrait constituer le terreau commun aux différentes formes de radicalisation. N’est-elle pas déjà la source de la radicalité propre à l’adolescence qui se manifeste dans les conduites à risques (sexe, alcool, violence et autres addictions), l’anorexie, la dépression, l’automutilation, le suicide, etc. ?
Ce rapprochement avec la pathologie est d’autant plus intéressant que lorsqu’on en vient à s’interroger sur les possibles moyens de prévention de la radicalisation, on ne peut pas ne pas tenir compte du fait que la psychoéducation constitue une forme de thérapie très efficace dans chacun de ces différents domaines et même pour la schizophrénie, caractéristique, elle aussi, de l’adolescence. Cette forme d’intervention consiste à fournir à la personne concernée — comme à son entourage — les connaissances psychologiques nécessaires pour acquérir une représentation plus juste, plus efficace et donc une meilleure maîtrise de sa situation.
On peut ainsi penser qu’une psychoéducation axée sur les mécanismes de la construction sociale du « soi » et de la « réalité », en particulier à l’adolescence, ferait barrage aux phénomènes de radicalisation, djihadiste ou autres. Mais comment toucher les rares individus concernés si ce n’est en ciblant la population adolescente dans son ensemble, c’est-à-dire, en mettant en œuvre une véritable prévention ?
Considérer qu’en dépit du risque présent, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle serait probablement faire un mauvais calcul. La fragilité mentale des adolescents ne constitue-t-elle pas, déjà, en soi, un grave problème de santé publique ?
Ne serait-il pas salutaire de mettre les savoirs sur la construction sociale de la personne à portée des adolescents — avec des supports attrayants (vidéos, BD,...) dans les différents (cyber)espaces qu’ils fréquentent et, en particulier, les établissements d’enseignements — plutôt que de les laisser cantonnés à des ouvrages spécialisés ?
Alors que d’aucuns revendiquent une éducation philosophique de la maternelle à l’université, il me semble que le mal-être adolescent et, de manière générale, le malaise dans l’éducation appellent une éducation à la psychologie sociale interpersonnelle (loin de la vulgate psychanalytique) qui donnerait à chacun les moyens de comprendre comment il se construit dans le « miroir social », c’est-à-dire, comment la dynamique de ses émotions, de ses pensées, de ses désirs et de ses actes se trouve influencée par l’innombrable variété des formes sous lesquelles le jugement des autres vient à se refléter sur l’image de soi. L’intériorisation du « regard » des autres nourrit le soi mais le rend dépendant et surtout manipulable s’il n’en a pas conscience.
Eduquer à la psychologie du soi — et donc à la santé mentale — constituerait une forme de prévention de l’embrigadement d’autant plus intéressante qu’en contribuant à former des citoyens davantage en maîtrise d’eux-mêmes, plus conscients et donc plus libres, on peut en escompter non seulement une réduction des risques sanitaires liés à l’adolescence mais aussi une réduction sensible de la conflictualité sociale, étant donné que le narcissisme, c’est-à-dire la défense de l’image de soi, constitue une des principales sources de violence.
Permettre qu’au moins à titre expérimental un tel enseignement soit prodigué ne serait-ce qu’à des élèves de terminale sous la forme d’une recherche-action menée dans quelques lycées pilotes pourrait constituer une réponse novatrice au risque de radicalisation en cela que, éducative et préventive plutôt que répressive, elle apparaîtrait tout à la fois pertinente, simple et peu coûteuse donc bienvenue en ces temps de crise budgétaire.

Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY


Qui veut la paix prépare la paix !


Article paru en tant que tribune dans le journal Le Quotidien (la Réunion) le 24 novembre 2015, p. 19

Des attentats, un pays meurtri, qui déclare la guerre au terrorisme, restreint les libertés civiles, instaure une surveillance policière générale et bombarde des populations éloignées afin de leur apporter la démocratie.
Nous connaissons ce scénario. C’est celui de la guerre perpétuelle que les Etats-Unis livrent depuis déjà une quinzaine d’années et qui a mené aux désastres que l’on sait en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, etc. car elle fait avant tout le jeu des terroristes.
Est-ce cela que nous voulons pour la France : un état de guerre permanent sous la houlette de l’OTAN ? Ne serait-ce pas plutôt la paix et la prospérité auxquelles nous aspirons ? Probablement avons-nous encore le choix mais peut-être faudrait-il prendre le temps de la réflexion plutôt que d’agir en état de choc !
Le grand stratège Clausewitz disait de la guerre qu’elle est « la continuation de la politique par d’autres moyens. » Or, qu’est-ce que la politique, si ce n’est ce qui a trait au gouvernement de la cité (polis) et, par conséquent, au contrôle des citoyens ? On peut en inférer que la guerre est probablement un bon moyen d’affermir le pouvoir des dirigeants sur le peuple.
Récemment décédé, l’anthropologue René Girard nous a permis de comprendre comment, depuis la nuit des temps, une société sous tension restaure l’ordre social en projetant sa propre violence sur un Autre accusé de tous les maux dont elle souffre. Rassemblé grâce au mythe (storytelling) de sa totale innocence, le groupe qui se pense victime cherche la paix dans la mort du coupable. C’est l’union sacrée pour tuer le barbare, pour sacrifier le bouc émissaire !
La France devrait-elle encore basculer dans cette violence archaïque ? N’a-t-elle pas assez de civilisation pour adopter cette attitude responsable que nous exigeons quotidiennement de nos enfants et qui consiste à reconnaître, avant toute chose (avant d’accuser l’autre), ce que nous avons fait qui aura pu contribuer à notre malheur ?
 Si la France (et plus généralement l’Occident) procédait à un examen critique de sa politique internationale plutôt que d’allumer les feux d’un « choc des civilisations » en se racontant que des fanatiques en veulent à son mode de vie et à ses valeurs sacrées, il apparaîtrait qu’à l’instar d’autres pays de l’OTAN elle a probablement joué aux apprentis sorciers en soutenant depuis des années des groupes terroristes,
Par exemple, en contravention de l’embargo européen de l’été 2011, la France a armé la branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front Al-Nosra, dont le ministre des Affaires Etrangères, Laurent Fabius disait en décembre 2012 que « sur le terrain, ils font du bon boulot. »
Même ressortissant à une visée supposément « morale », l’insanité consistant à renforcer des « barbares » pour les instrumentaliser pouvait-elle sérieusement bénéficier à la République, c’est-à-dire, servir les intérêts du peuple français ? Si tant est que certains aient pu le croire, il est clair à présent que cela ne pouvait être le cas.
*   *   *
Dans ce monde « réellement à la renverse » où « le vrai est un moment du faux » nous ne pouvons plus espérer de nos dirigeants qu’ils reconnaissent leurs errements ni surtout qu’ils les réparent. C’est à nous, les anonymes, les « sans dents », les honnêtes citoyens de la « France d’en bas » qu’il appartient de résister activement à la contagion de l’accusation et à la tentation guerrière qu’elle engendre.
Comme disait Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »
Ainsi que la ministre George Pau Langevin l’a suggéré après les attentats de janvier, la Réunion pourrait servir de modèle. D’une manière qui fait exception, les inévitables tensions, raciales et/ou communautaristes, ne viennent jamais ici s’alimenter aux différences confessionnelles alors que la vivacité du sentiment et des pratiques religieuses est bien plus grande qu’en métropole.
Mais combien de temps encore ce remarquable habitus résistera-t-il quand certains en sont déjà à craindre une guerre civile ? Du passé il pourrait être fait table rase en un éclair si nous n’avons auparavant agi résolument pour qu’il n’en soit rien et que les religions continuent à servir la paix et le vivre ensemble réunionnais comme elles l’ont toujours fait.
Si, pour quelque raison que ce soit, la République devait vaciller, le respect mutuel interconfessionnel ne serait-il pas le meilleur garant de la solidarité et de la paix au sein de la population réunionnaise ?
*   *   *
L’action du Groupe de Dialogue Interreligieux de la Réunion me semble louable à plus d’un titre mais est-elle dimensionnée pour les évènements géopolitiques actuels ? Une « nouvelle route » du dialogue interreligieux ne serait-elle pas à envisager pour répondre aux besoins d’une société réunionnaise déjà en grande souffrance ? Ne serait-il pas temps de concevoir une véritable éducation (voire une rééducation) à la paix ?
Un petit pas que chacun pourrait accomplir dans cette direction consisterait à ne pas « jeter la pierre », c’est-à-dire, à ne pas intérioriser les représentations fallacieuses auxquelles nous sommes exposés pour, au contraire, se porter témoins de ceux qui se trouvent injustement assimilés aux terroristes.
N’est-il pas affligeant que dans les cours d’école des enfants puissent se voir culpabilisés pour les attentats de Paris parce qu’ils sont musulmans ?
Comment au XXIe siècle pouvons-nous encore si mal maîtriser nos catégories de pensée ?
Comme le nom l’indique, les membres de l’Etat Islamique se réfèrent à l’Islam mais la multiplicité des courants, des populations et des cultures au sein du milliard et demi de fidèles du Coran est telle qu’il est proprement insensé de désigner ces « barbares » comme des musulmans. C’est aussi idiot que de dire qu’à la Réunion des poissons mettent en danger les surfeurs. Tout le monde sait très bien utiliser le terme spécifique de requins et chacun se garde bien ainsi de propager l’idée imbécile que les poissons sont source de danger. La multitude des poissons est ainsi laissée en paix. Il conviendrait pareillement de parler de djihadistes salafi (ivres de drogues, de pétrodollars et de puissance de feu) pour désigner les soldats de Daesh, ce qui protègerait les enfants et les adultes musulmans de suspicions et d’accusations attentatoires à leur dignité et à leur légitime désir de vivre en paix.
Il ne s’agit pas de jouer sur les mots mais, tout au contraire, de les employer avec exactitude de manière à bien comprendre que le djihadisme salafi n’est pas plus représentatif des musulmans que ne sont représentatifs des bouddhistes les moines fanatiques qui ont, cette année encore, massacré des musulmans Rohingyas en Birmanie, ou que ne sont représentatifs des chrétiens les phalangistes libanais qui ont massacré les palestiniens des camps de Sabra et Chatila, ou que ne sont représentatifs des juifs les soldats israéliens qui, ces dernières années, ont massacré des milliers de civils à Gaza.
Si nous voulons la paix alors préparons la paix, éduquons à la paix, soyons des modèles de paix. Sortons de la horde des loups qui (col)portent de vaines accusations (même à leur insu) et soyons des témoins solidaires de ceux qui en sont la cible.

Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY

PS: Ci-dessous une photo de l'article avec l'illustration choisie par le journal.



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