mercredi 18 mai 2016

Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

Le 4 mai dernier, le journal Le Quotidien a publié mon "courrier des lecteurs" sur la dyslexie et autres dys qui faisait écho à la conférence de Léonard Vannetzel organisée par la MAIF.
Malheureusement le texte, un peu long, a été coupé de sorte qu'il m'a semblé inintelligible.
Le voici dans sa version intégrale.

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Traitement des dys : une discrimination par le Q.I. ?

La MAIF a récemment invité à l’Université de la Réunion Léonard Vannetzel, psychologue et rédacteur en chef d’ANAE, une revue de neuropsychologie de l’apprentissage. Il a traité en expert de « La galaxie des dys » face à un public avide constitué principalement d’enseignants. Le sujet, complexe s’il en est, reste très sensible pour de multiples raisons mais je vais tenter ici d’en évoquer une, particulièrement importante et que le titre rend assez explicite, je crois.
Sans doute faut-il préciser que, dès mon entrée dans la profession de psychologue de l’Education Nationale, j’ai été mis en garde au sujet de l’emprise grandissante du médical sur le domaine scolaire, notamment sous le rapport des apprentissages.
Cet avertissement n’a jamais cessé de se vérifier. « L’éducation spéciale » se décide dorénavant dans les Maisons de la Personne Handicapée et les troubles médicaux envahissent proprement l’espace scolaire au point que la moindre difficulté d’apprentissage semble devoir relever de quelque « dys » et autres troubles quand il ne s’agit pas de précocité. Autant dire que les psychologues de l’Education Nationale ne savent plus où donner de la tête étant donné que leur bilan, en particulier, psychométrique, est systématiquement exigé pour la constitution des dossiers. La chose relève d’une logique qu’il ne s’agit pas de contester dans son ensemble mais on peut néanmoins se demander si elle n’amènerait pas quelques effets pervers notamment en ce qui concerne la « galaxie des dys ».
Les diagnostics en « dys » ne concernent, en effet, que les élèves dont on a pu s’assurer qu’ils ne présentaient pas de déficience intellectuelle. A première vue, la chose paraît logique car on ne peut invoquer une cause biologique (un trouble) si, par ailleurs, une cause psychologique (une déficience intellectuelle) est déjà présente et suffit à expliquer les difficultés rencontrées. Comme disaient les philosophes du Moyen-âge, il convient de « ne pas multiplier les êtres sans nécessité. » Ainsi, pour un élève « faible lecteur » qui présenterait une déficience intellectuelle, l’explication parcimonieuse des difficultés d’apprentissage de la lecture consiste à retenir la cause psychologique avérée (la déficience) et à écarter l’hypothèse biologique qui devient superflue.
Bien que régulièrement employée par des générations de chercheurs, cette heuristique peut être prise en défaut. Elle a été réfutée dans le cas de la dyslexie et il se pourrait que d’autres « dys » soient concernées. Dans un livre en anglais récent d’Elliott & Grigorenko (2014) intitulé « Dyslexie : le débat » il est montré, sur la base de deux décennies de travaux anglosaxons, que pour la grande majorité des « faibles lecteurs », les difficultés d’apprentissage de la lecture proviendraient d’une incapacité de traitement phonologique de bas niveau d’origine neurologique. Le seul traitement efficace de ce trouble consisterait en un entraînement spécifique par un personnel formé à cet effet. La cause biologique étant identifiée il n’y aurait, en toute logique, qu’à mettre en œuvre le traitement correspondant pour TOUS les « faibles lecteurs » en déficit phonologique. Sauf que ce serait trop simple ! Observons, en effet, que l’efficience intellectuelle n’entre pas ici en ligne de compte. Or, la logique institutionnelle est basée sur une définition de la dyslexie restreinte aux élèves à l’intelligence « normale. » Ainsi, au lieu de tous bénéficier du même traitement dont ils ont tous pareillement besoin, les « faibles lecteurs » se voient séparés en deux groupes : d’une part, (a) les dyslexiques (faibles lecteurs à l’intelligence normale) et, d’autre part, (b) les déficients intellectuels présentant des difficultés de lecture. Force est alors de se demander s’il n’y aurait pas là une pratique de nature discriminatoire dans la mesure où ces derniers ne peuvent plus bénéficier des moyens importants mis à la disposition des premiers. Par exemple, il existe des établissements de soin comme le CMPP de Sainte Suzanne qui prennent seulement en charge les élèves relevant des « dys », de sorte que ceux souffrants parfois de graves difficultés d’apprentissage mais présentant une déficience intellectuelle même légère n’ont pas accès aux soins proposés.
Qu’est-ce qui — au moins pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture — justifie cette différence de traitement alors que, il faut y insister, une foule de travaux ont montré qu’elles relèvent le plus souvent de troubles phonologiques bien identifiés et nécessitent par conséquent le même traitement de base, que l’on soit normalement intelligent ou pas ?
On doit d’autant plus se poser la question que, ainsi qu’Elliott & Grigorenko le soulignent, la démarche consistant à bilanter psychologiquement tous les faibles lecteurs pour opérer ce « tri » est longue et extrêmement coûteuse pour la société alors que quelques tests de lecture rapidement passés permettent d’identifier les besoins.
On me dira qu’il est toujours avantageux de disposer d’un bilan psychologique puisqu’on est alors beaucoup mieux renseigné sur les fragilités et les points forts de l’élève auquel on s’adresse. C’est peu contestable a priori sauf qu’il s’agit seulement d’un bénéfice et pas de la raison première pour laquelle le bilan est réalisé. Celle-ci devrait être questionnée car si le bilan psychométrique contribue à ce qui pourrait apparaître au final comme une discrimination médico-sociale, cela pose problème.
Le code de déontologie des psychologues leur fait obligation d’informer les personnes concernées des « objectifs, modalités et limites » de leur intervention mais pas des possibles conséquences d’une évaluation, même de nature à engendrer une discrimination par l’intelligence. Peut-être serait-il temps de prendre en compte cet aspect car, au moins pour la dyslexie (et probablement aussi pour la dyscalculie selon Léonard Vannetzel) les données scientifiques actuelles contestent la logique institutionnelle. Ne serait-ce pas manquer à l’éthique professionnelle que de continuer de collaborer à cette dernière sans s’assurer de son bien-fondé au regard des études récentes ?
Quoi qu’il en soit, il est clair que les personnels de soin en général, les psychologues en particulier, font individuellement de leur mieux pour pallier aux défauts de cette logique institutionnelle qui seule peut (et doit) être mise en cause. Il y a là, je crois, matière à une réflexion urgente car ajouter la discrimination au handicap n’est plus tolérable dans nos sociétés supposément avancées.
           

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