Malheureusement le texte, un peu long, a été coupé de sorte qu'il m'a semblé inintelligible.
Le voici dans sa version intégrale.
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Traitement
des dys : une discrimination par le Q.I. ?
La
MAIF a récemment invité à l’Université de la Réunion Léonard
Vannetzel, psychologue et rédacteur en chef d’ANAE, une revue de
neuropsychologie de l’apprentissage. Il a traité en expert de
« La galaxie des dys » face à un public avide constitué
principalement d’enseignants. Le sujet, complexe s’il en est,
reste très sensible pour de multiples raisons mais je vais
tenter ici d’en évoquer une, particulièrement importante et que
le titre rend assez explicite, je crois.
Sans
doute faut-il préciser que, dès mon entrée dans la profession de
psychologue de l’Education Nationale, j’ai été mis en garde au
sujet de l’emprise grandissante du médical sur le domaine
scolaire, notamment sous le rapport des apprentissages.
Cet
avertissement n’a jamais cessé de se vérifier. « L’éducation
spéciale » se décide dorénavant dans les Maisons de la Personne
Handicapée et les troubles médicaux envahissent proprement
l’espace scolaire au point que la moindre difficulté
d’apprentissage semble devoir relever de quelque « dys » et
autres troubles quand il ne s’agit pas de précocité. Autant dire
que les psychologues de l’Education Nationale ne savent plus où
donner de la tête étant donné que leur bilan, en particulier,
psychométrique, est systématiquement exigé pour la constitution
des dossiers. La chose relève d’une logique qu’il ne s’agit pas
de contester dans son ensemble mais on peut néanmoins se
demander si elle n’amènerait pas quelques effets pervers
notamment en ce qui concerne la « galaxie des dys ».
Les
diagnostics en « dys » ne concernent, en effet, que les élèves
dont on a pu s’assurer qu’ils ne présentaient pas de déficience
intellectuelle. A première vue, la chose paraît logique car on
ne peut invoquer une cause biologique (un trouble) si, par
ailleurs, une cause psychologique (une déficience
intellectuelle) est déjà présente et suffit à expliquer les
difficultés rencontrées. Comme disaient les philosophes du
Moyen-âge, il convient de « ne pas multiplier les êtres sans
nécessité. » Ainsi, pour un élève « faible lecteur » qui
présenterait une déficience intellectuelle, l’explication
parcimonieuse des difficultés d’apprentissage de la lecture
consiste à retenir la cause psychologique avérée (la déficience)
et à écarter l’hypothèse biologique qui devient superflue.
Bien
que régulièrement employée par des générations de chercheurs,
cette heuristique peut être prise en défaut. Elle a été réfutée
dans le cas de la dyslexie et il se pourrait que d’autres
« dys » soient concernées. Dans un livre en anglais récent
d’Elliott & Grigorenko (2014) intitulé « Dyslexie : le
débat » il est montré, sur la base de deux décennies de travaux
anglosaxons, que pour la grande majorité des « faibles
lecteurs », les difficultés d’apprentissage de la lecture
proviendraient d’une incapacité de traitement phonologique de
bas niveau d’origine neurologique. Le seul traitement efficace
de ce trouble consisterait en un entraînement spécifique par un
personnel formé à cet effet. La cause biologique étant
identifiée il n’y aurait, en toute logique, qu’à mettre en œuvre
le traitement correspondant pour TOUS les « faibles lecteurs »
en déficit phonologique. Sauf que ce serait trop simple !
Observons, en effet, que l’efficience intellectuelle n’entre pas
ici en ligne de compte. Or, la logique institutionnelle est
basée sur une définition de la dyslexie restreinte aux élèves à
l’intelligence « normale. » Ainsi, au lieu de tous bénéficier du même
traitement dont ils ont tous
pareillement besoin, les « faibles lecteurs » se voient séparés
en deux groupes : d’une part, (a) les dyslexiques (faibles
lecteurs à l’intelligence normale) et, d’autre part, (b) les
déficients intellectuels présentant des difficultés de lecture.
Force est alors de se demander s’il n’y aurait pas là une
pratique de nature discriminatoire dans la mesure où ces
derniers ne peuvent plus bénéficier des moyens importants mis à
la disposition des premiers. Par exemple, il existe des
établissements de soin comme le CMPP de Sainte Suzanne qui
prennent seulement en charge les élèves relevant des « dys », de
sorte que ceux souffrants parfois de graves difficultés
d’apprentissage mais présentant une déficience intellectuelle
même légère n’ont pas accès aux soins proposés.
Qu’est-ce
qui — au
moins pour ce qui concerne l’apprentissage de la lecture — justifie
cette différence de traitement alors que, il faut y insister,
une foule de travaux ont montré qu’elles relèvent le plus
souvent de troubles phonologiques bien identifiés et nécessitent
par conséquent le même traitement de base, que l’on soit
normalement intelligent ou pas ?
On
doit d’autant plus se poser la question que, ainsi qu’Elliott
& Grigorenko le soulignent, la démarche consistant à
bilanter psychologiquement tous les faibles lecteurs pour opérer
ce « tri » est longue et extrêmement coûteuse pour la société
alors que quelques tests de lecture rapidement passés permettent
d’identifier les besoins.
On
me dira qu’il est toujours avantageux de disposer d’un bilan
psychologique puisqu’on est alors beaucoup mieux renseigné sur
les fragilités et les points forts de l’élève auquel on
s’adresse. C’est peu contestable a priori sauf qu’il
s’agit seulement d’un bénéfice et pas de la raison première pour
laquelle le bilan est réalisé. Celle-ci devrait être questionnée
car si le bilan psychométrique contribue à ce qui pourrait
apparaître au final comme une discrimination médico-sociale,
cela pose problème.
Le
code de déontologie des psychologues leur fait obligation
d’informer les personnes concernées des « objectifs, modalités
et limites » de leur intervention mais pas des possibles
conséquences d’une évaluation, même de nature à engendrer une
discrimination par l’intelligence. Peut-être serait-il temps de
prendre en compte cet aspect car, au moins pour la dyslexie (et
probablement aussi pour la dyscalculie selon Léonard Vannetzel)
les données scientifiques actuelles contestent la logique
institutionnelle. Ne serait-ce pas manquer à l’éthique
professionnelle que de continuer de collaborer à cette dernière
sans s’assurer de son bien-fondé au regard des études récentes ?
Quoi
qu’il en soit, il est clair que les personnels de soin en
général, les psychologues en particulier, font individuellement
de leur mieux pour pallier aux défauts de cette logique
institutionnelle qui seule peut (et doit) être mise en cause. Il
y a là, je crois, matière à une réflexion urgente car ajouter la
discrimination au handicap n’est plus tolérable dans nos
sociétés supposément avancées.
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