Article paru en tant que tribune dans le journal Le Quotidien (la Réunion) le 24 novembre 2015, p. 19
Des attentats, un
pays meurtri,
qui déclare la guerre au terrorisme, restreint les libertés
civiles, instaure
une surveillance policière générale et bombarde des populations
éloignées afin
de leur apporter la démocratie.
Nous connaissons ce
scénario.
C’est celui de la guerre perpétuelle que les Etats-Unis livrent
depuis déjà une
quinzaine d’années et qui a mené aux désastres que l’on sait en
Afghanistan, en
Irak, en Libye, en Syrie, etc.
car
elle fait avant tout le jeu des terroristes.
Est-ce cela que nous
voulons pour
la France : un état de guerre permanent sous la houlette de l’OTAN
? Ne
serait-ce pas plutôt la paix et la prospérité auxquelles nous
aspirons ? Probablement
avons-nous encore le choix mais peut-être faudrait-il prendre le
temps de la
réflexion plutôt que d’agir en état de choc !
Le grand stratège
Clausewitz disait
de la guerre qu’elle est « la
continuation
de la politique par d’autres moyens. » Or, qu’est-ce que
la politique, si ce n’est ce qui a trait au gouvernement de la
cité (polis) et, par
conséquent, au contrôle
des citoyens ? On peut en inférer que la guerre est probablement
un bon
moyen d’affermir le pouvoir des dirigeants sur le peuple.
Récemment décédé,
l’anthropologue
René Girard nous a permis de comprendre comment, depuis la nuit
des temps, une
société sous tension restaure l’ordre social en projetant sa
propre violence sur
un Autre accusé de tous
les maux dont
elle souffre. Rassemblé grâce au mythe (storytelling)
de sa totale innocence, le groupe qui se pense victime cherche la
paix dans la mort
du coupable. C’est l’union
sacrée
pour tuer le barbare,
pour sacrifier
le bouc émissaire !
La France
devrait-elle encore basculer
dans cette violence archaïque ? N’a-t-elle pas assez de
civilisation pour
adopter cette attitude responsable que nous exigeons
quotidiennement de nos
enfants et qui consiste à reconnaître, avant toute chose (avant
d’accuser
l’autre), ce que nous avons fait qui aura pu contribuer à notre
malheur ?
Si la France (et plus
généralement l’Occident)
procédait à un examen critique de sa politique internationale
plutôt que d’allumer
les feux d’un « choc des civilisations » en se racontant que des
fanatiques
en veulent à son mode de vie et à ses valeurs sacrées, il
apparaîtrait qu’à l’instar
d’autres pays de l’OTAN elle a probablement joué aux apprentis
sorciers en soutenant
depuis des années des groupes terroristes,
Par exemple, en
contravention de
l’embargo européen de l’été 2011, la France a armé la branche
syrienne
d’Al-Qaïda, le Front Al-Nosra, dont le ministre des Affaires
Etrangères, Laurent
Fabius disait en décembre 2012 que « sur
le terrain, ils font du bon boulot. »
Même ressortissant à
une visée supposément
« morale », l’insanité consistant à renforcer des « barbares » pour les
instrumentaliser
pouvait-elle sérieusement bénéficier à la République,
c’est-à-dire, servir les intérêts
du peuple français ? Si tant est que certains aient pu le croire,
il est
clair à présent que cela ne pouvait être le cas.
* * *
Dans ce monde
« réellement à
la renverse » où « le vrai est un moment du faux » nous ne
pouvons plus espérer de nos dirigeants qu’ils reconnaissent leurs
errements ni
surtout qu’ils les réparent. C’est à nous, les anonymes, les
« sans
dents », les honnêtes citoyens de la « France d’en bas » qu’il
appartient de résister activement à la contagion de l’accusation
et à la tentation
guerrière qu’elle engendre.
Comme disait Martin
Luther
King : « Nous
devons apprendre à vivre ensemble comme
des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des
idiots. »
Ainsi que la
ministre George Pau Langevin
l’a suggéré après les attentats de janvier, la Réunion pourrait
servir de
modèle. D’une manière qui fait exception, les inévitables
tensions, raciales et/ou
communautaristes, ne viennent jamais ici s’alimenter aux
différences confessionnelles
alors que la vivacité du sentiment et des pratiques religieuses
est bien plus grande
qu’en métropole.
Mais combien de
temps encore ce
remarquable habitus
résistera-t-il
quand certains en sont déjà à craindre une guerre civile ? Du
passé il pourrait
être fait table rase en un éclair si nous n’avons auparavant agi
résolument
pour qu’il n’en soit rien et que les religions continuent à servir
la paix et
le vivre ensemble réunionnais comme elles l’ont toujours fait.
Si, pour quelque
raison que ce
soit, la République devait vaciller, le respect mutuel
interconfessionnel ne
serait-il pas le meilleur garant de la solidarité et de la paix au
sein de la
population réunionnaise ?
* * *
L’action du Groupe
de Dialogue
Interreligieux de la Réunion me semble louable à plus d’un titre
mais est-elle
dimensionnée pour les évènements géopolitiques actuels ? Une
« nouvelle
route » du dialogue interreligieux ne serait-elle pas à envisager
pour
répondre aux besoins d’une société réunionnaise déjà en grande
souffrance ?
Ne serait-il pas temps de concevoir une véritable éducation (voire
une
rééducation) à la paix ?
Un petit pas que
chacun pourrait accomplir
dans cette direction consisterait à ne pas « jeter la pierre »,
c’est-à-dire, à ne pas intérioriser les représentations
fallacieuses auxquelles
nous sommes exposés pour, au contraire, se porter témoins de ceux
qui se
trouvent injustement assimilés aux terroristes.
N’est-il pas
affligeant que dans
les cours d’école des enfants puissent se voir culpabilisés pour
les attentats
de Paris parce qu’ils sont musulmans ?
Comment au XXIe
siècle
pouvons-nous encore si mal maîtriser nos catégories de pensée ?
Comme le nom
l’indique, les
membres de l’Etat Islamique se réfèrent à l’Islam mais la
multiplicité des
courants, des populations et des cultures au sein du milliard et
demi de
fidèles du Coran est telle qu’il est proprement insensé de
désigner ces
« barbares » comme des musulmans. C’est aussi idiot que de dire
qu’à
la Réunion des poissons mettent en danger les surfeurs. Tout le
monde sait très
bien utiliser le terme spécifique de requins
et chacun se garde bien ainsi de propager l’idée imbécile que les
poissons sont
source de danger. La multitude des poissons est ainsi laissée en
paix. Il
conviendrait pareillement de parler de djihadistes
salafi (ivres de drogues, de pétrodollars et de puissance de
feu) pour
désigner les soldats de Daesh, ce qui protègerait les enfants et
les adultes
musulmans de suspicions et d’accusations attentatoires à leur
dignité et à leur
légitime désir de vivre en paix.
Il ne s’agit pas de
jouer sur les
mots mais, tout au contraire, de les employer avec exactitude de
manière à bien
comprendre que le djihadisme salafi n’est pas plus représentatif
des musulmans
que ne sont représentatifs des bouddhistes les moines fanatiques
qui ont, cette
année encore, massacré des musulmans Rohingyas en Birmanie, ou que
ne sont
représentatifs des chrétiens les phalangistes libanais qui ont
massacré les
palestiniens des camps de Sabra et Chatila, ou que ne sont
représentatifs des
juifs les soldats israéliens qui, ces dernières années, ont
massacré des
milliers de civils à Gaza.
Si nous voulons la
paix alors
préparons la paix, éduquons à la paix, soyons des modèles de paix.
Sortons de
la horde des loups qui (col)portent de vaines accusations (même à
leur insu) et
soyons des témoins solidaires de ceux qui en sont la cible.
Luc-Laurent
Salvador,
pour l’association EDUCAPSY
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