jeudi 17 mars 2016

Qui veut la paix prépare la paix !


Article paru en tant que tribune dans le journal Le Quotidien (la Réunion) le 24 novembre 2015, p. 19

Des attentats, un pays meurtri, qui déclare la guerre au terrorisme, restreint les libertés civiles, instaure une surveillance policière générale et bombarde des populations éloignées afin de leur apporter la démocratie.
Nous connaissons ce scénario. C’est celui de la guerre perpétuelle que les Etats-Unis livrent depuis déjà une quinzaine d’années et qui a mené aux désastres que l’on sait en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, etc. car elle fait avant tout le jeu des terroristes.
Est-ce cela que nous voulons pour la France : un état de guerre permanent sous la houlette de l’OTAN ? Ne serait-ce pas plutôt la paix et la prospérité auxquelles nous aspirons ? Probablement avons-nous encore le choix mais peut-être faudrait-il prendre le temps de la réflexion plutôt que d’agir en état de choc !
Le grand stratège Clausewitz disait de la guerre qu’elle est « la continuation de la politique par d’autres moyens. » Or, qu’est-ce que la politique, si ce n’est ce qui a trait au gouvernement de la cité (polis) et, par conséquent, au contrôle des citoyens ? On peut en inférer que la guerre est probablement un bon moyen d’affermir le pouvoir des dirigeants sur le peuple.
Récemment décédé, l’anthropologue René Girard nous a permis de comprendre comment, depuis la nuit des temps, une société sous tension restaure l’ordre social en projetant sa propre violence sur un Autre accusé de tous les maux dont elle souffre. Rassemblé grâce au mythe (storytelling) de sa totale innocence, le groupe qui se pense victime cherche la paix dans la mort du coupable. C’est l’union sacrée pour tuer le barbare, pour sacrifier le bouc émissaire !
La France devrait-elle encore basculer dans cette violence archaïque ? N’a-t-elle pas assez de civilisation pour adopter cette attitude responsable que nous exigeons quotidiennement de nos enfants et qui consiste à reconnaître, avant toute chose (avant d’accuser l’autre), ce que nous avons fait qui aura pu contribuer à notre malheur ?
 Si la France (et plus généralement l’Occident) procédait à un examen critique de sa politique internationale plutôt que d’allumer les feux d’un « choc des civilisations » en se racontant que des fanatiques en veulent à son mode de vie et à ses valeurs sacrées, il apparaîtrait qu’à l’instar d’autres pays de l’OTAN elle a probablement joué aux apprentis sorciers en soutenant depuis des années des groupes terroristes,
Par exemple, en contravention de l’embargo européen de l’été 2011, la France a armé la branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front Al-Nosra, dont le ministre des Affaires Etrangères, Laurent Fabius disait en décembre 2012 que « sur le terrain, ils font du bon boulot. »
Même ressortissant à une visée supposément « morale », l’insanité consistant à renforcer des « barbares » pour les instrumentaliser pouvait-elle sérieusement bénéficier à la République, c’est-à-dire, servir les intérêts du peuple français ? Si tant est que certains aient pu le croire, il est clair à présent que cela ne pouvait être le cas.
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Dans ce monde « réellement à la renverse » où « le vrai est un moment du faux » nous ne pouvons plus espérer de nos dirigeants qu’ils reconnaissent leurs errements ni surtout qu’ils les réparent. C’est à nous, les anonymes, les « sans dents », les honnêtes citoyens de la « France d’en bas » qu’il appartient de résister activement à la contagion de l’accusation et à la tentation guerrière qu’elle engendre.
Comme disait Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »
Ainsi que la ministre George Pau Langevin l’a suggéré après les attentats de janvier, la Réunion pourrait servir de modèle. D’une manière qui fait exception, les inévitables tensions, raciales et/ou communautaristes, ne viennent jamais ici s’alimenter aux différences confessionnelles alors que la vivacité du sentiment et des pratiques religieuses est bien plus grande qu’en métropole.
Mais combien de temps encore ce remarquable habitus résistera-t-il quand certains en sont déjà à craindre une guerre civile ? Du passé il pourrait être fait table rase en un éclair si nous n’avons auparavant agi résolument pour qu’il n’en soit rien et que les religions continuent à servir la paix et le vivre ensemble réunionnais comme elles l’ont toujours fait.
Si, pour quelque raison que ce soit, la République devait vaciller, le respect mutuel interconfessionnel ne serait-il pas le meilleur garant de la solidarité et de la paix au sein de la population réunionnaise ?
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L’action du Groupe de Dialogue Interreligieux de la Réunion me semble louable à plus d’un titre mais est-elle dimensionnée pour les évènements géopolitiques actuels ? Une « nouvelle route » du dialogue interreligieux ne serait-elle pas à envisager pour répondre aux besoins d’une société réunionnaise déjà en grande souffrance ? Ne serait-il pas temps de concevoir une véritable éducation (voire une rééducation) à la paix ?
Un petit pas que chacun pourrait accomplir dans cette direction consisterait à ne pas « jeter la pierre », c’est-à-dire, à ne pas intérioriser les représentations fallacieuses auxquelles nous sommes exposés pour, au contraire, se porter témoins de ceux qui se trouvent injustement assimilés aux terroristes.
N’est-il pas affligeant que dans les cours d’école des enfants puissent se voir culpabilisés pour les attentats de Paris parce qu’ils sont musulmans ?
Comment au XXIe siècle pouvons-nous encore si mal maîtriser nos catégories de pensée ?
Comme le nom l’indique, les membres de l’Etat Islamique se réfèrent à l’Islam mais la multiplicité des courants, des populations et des cultures au sein du milliard et demi de fidèles du Coran est telle qu’il est proprement insensé de désigner ces « barbares » comme des musulmans. C’est aussi idiot que de dire qu’à la Réunion des poissons mettent en danger les surfeurs. Tout le monde sait très bien utiliser le terme spécifique de requins et chacun se garde bien ainsi de propager l’idée imbécile que les poissons sont source de danger. La multitude des poissons est ainsi laissée en paix. Il conviendrait pareillement de parler de djihadistes salafi (ivres de drogues, de pétrodollars et de puissance de feu) pour désigner les soldats de Daesh, ce qui protègerait les enfants et les adultes musulmans de suspicions et d’accusations attentatoires à leur dignité et à leur légitime désir de vivre en paix.
Il ne s’agit pas de jouer sur les mots mais, tout au contraire, de les employer avec exactitude de manière à bien comprendre que le djihadisme salafi n’est pas plus représentatif des musulmans que ne sont représentatifs des bouddhistes les moines fanatiques qui ont, cette année encore, massacré des musulmans Rohingyas en Birmanie, ou que ne sont représentatifs des chrétiens les phalangistes libanais qui ont massacré les palestiniens des camps de Sabra et Chatila, ou que ne sont représentatifs des juifs les soldats israéliens qui, ces dernières années, ont massacré des milliers de civils à Gaza.
Si nous voulons la paix alors préparons la paix, éduquons à la paix, soyons des modèles de paix. Sortons de la horde des loups qui (col)portent de vaines accusations (même à leur insu) et soyons des témoins solidaires de ceux qui en sont la cible.

Luc-Laurent Salvador, pour l’association EDUCAPSY

PS: Ci-dessous une photo de l'article avec l'illustration choisie par le journal.



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